Sommaire

 

 

Dans l'agenda

Guide

 

« La leçon d'ornithographe »


par Claude Chottin,
sur une idée de Bernard Pivert.

Dessins de G. Chevalier.

 

Prenez vos plus belles plumes et, attention, la dictée sera corrigée par Mme la Rectrice.

 

La venue du Cirque Aète

Depuis plusieurs jours toutes les garzettes en avaient parlé. Enfin le convoi arriva et les hulottes chargées de matériel et d'artistes se rangèrent sur l'aire réservée. En attendant que les cisticoles les affichent, le chapiteau, trois immatures, fut dressé.

Puis le spectacle commença au quatrième biotope. Un carrousel où un aigle botté fit évoluer aux claquements de son martinet une série de chevaliers. Puis vint un agrobate roux sur deux échasses blanches.

Les fuligules enchaînèrent sur la corde raide. Le public applaudit. Le Grand Duc honorait de sa présence cette manifestation où paraissaient également quelques hobereaux, des chardonnerets élégants, des pluviers argentés, des cochevis, des harles et des vanneaux… huppés. Sinon, le reste de l'assistance était plutôt pouillot.

Une effraie traversa la piste en jonglant avec des pelotes de réjection pendant qu'un butor étoilé scintillant sous les projecteurs annonçait la suite du programme : un grimpereau au cordage américain salué par l'orchestre tambourinant des pics et du tétras lyre. La partie music-hall présentait une hypolaïs polyglotte, une linotte mélodieuse et un pouillot siffleur.

À l'entracte, chacun alla faire son pipit et visita la galerie des phénomènes où se tenaient, derrière une baie vitrée, un blongios nain, une fauvette mélanocéphale, une mésange à moustaches, une mouette pygmée. La ménagerie sous l'œil vigilant du héron garde-bœufs lui faisait suite.

La deuxième partie tout aussi brillante débuta avec un vertigineux plongeon arctique au travers d'un cercle orbital en feu. Ensuite, une sarcelle élégante tout empanachée d'aigrettes vint exécuter une pantomime avec un arlequin et une fauvette masquée. Un chevalier aboyeur plutôt cabot scia en trois une bécassine double.

Le duo désopilant d'une bondrée et d'un guêpier aux prises avec un attrape-mouches fit rire le public à rouge-gorge déployée. Enfin, une parade générale mit fin au spectacle et le public ravi se dirigeait vers la sortie lorsque deux gangas (prononcer à la martiniquaise) profitèrent d'une bousculade pour créer un beau chahut (ant) prenant à partie un couple insignifiant. Lui, pauvre pâtre complètement traquet au milieu de cette foule; elle, une bergère honnête, s'entendit traiter de « macreuse » par un goéland railleur.

Un vautour moine accompagné de plusieurs nonnettes offusquées se hâtèrent de quitter les lieux pendant qu'un serin cynique s'en prenait de plus belle à l'épouse, disant bien fort que ce n'était pas la première fois qu'elle montrait ses gambettes et même son bruant zizi, puis à son compagnon, lui rétorquant que depuis longtemps elle le faisait coucou et que lui-même ne se gênait pas de tourner autour des palombes. Un pélican frisé accompagné de deux g(t)ravelots passèrent en pouffant. La foule grossissait autour de l'événement; l'outarde commençait à leur monter au nez. On en vint presque aux ailes. Une mésange lugubre, une buse féroce ainsi qu'un roselin cramoisi s'en prirent à un busard pâle critiquant son tarin. On entendit fuser les mots de « cassenoix », « caspienne » et l'on s'attendait à voir tout ce monde se pilet, sans l'irruption du goéland bourgmestre qui intervint avec deux hirondelles en uniforme, menaçant même d'appeler le renfort du leucoptère de la police.

On rassura nos deux pauvres amis, leur affirmant qu'un procès soutenu par une bonne avocette les dédommagerait des propos diffamatoires prononcés à leur encontre. Mais l'un des principaux protagonistes mourut d'un œdicnème du poumon et l'affaire s'évanouit.

Cette histoire est évidemment l'œuvre d'un fou… de Bassan, bien entendu !

 

Sommaire de la rubrique Oiseaux