BATRACIENS

Ordre II. — Urodèles

Les Urodèles ont une queue pendant et après l'état larvaire. Ils ont un peu la forme des Lézards, mais leurs mouvements sont beaucoup plus lents. Leur tête est de moyenne grosseur ; ils ont des paupières mobiles et des yeux plus ou moins gros et plus ou moins proéminents selon les espères. Leur cou est assez apparent et leur corps, assez allongé, a une forme légèrement cylindrique. Leurs membres sont courts ; les antérieurs et les postérieurs ont à peu près la même longueur. Leur queue est conique lorsqu'ils vivent à terre ; chez les Tritons, elle devient haute et plate lorsque ces bêtes habitent l'eau. Chaque année les mâles adultes de quelques espèces du genre Triton ont, sur le corps, une crête élevée lorsqu'ils vivent dans l'eau, au moment des amours ; cette crête disparaît presque entièrement lorsqu'ils habitent dans les trous de terre, les tas de pierres, les caves et les souterrains. Leur peau est plus ou moins couverte de tubercules contenant des glandes qui sécrètent une liqueur blanchâtre qui, comme celle des Anoures, est un poison violent pour les petits animaux et aussi pour les grands lorsqu'elle est inoculée ou ingurgitée à forte dose. De même que les Anoures, les Urodèles répandent une odeur désagréable lorsqu'on les tourmente. Ils changent souvent d'épiderme et se rendent ordinairement à l'eau pour cette opération. Une Salamandre adulte, placée seule dans une cage munie d'un bassin, changea entièrement de peau le 2 novembre, puis le 9 du même mois, puis le 4 décembre suivant ; elle resta ensuite plusieurs semaines sans se dépouiller de son vieil épiderme. Dans les bassins des cages contenant des Tritons ou des Salamandres, nous trouvons souvent des dépouilles bien entières ; on ne voit qu'une fente sur la tête et la partie antérieure du corps. Si le changement de peau se fait hors de l'eau, l'Urodèle se sert de ses mâchoires lorsque le bourrelet formé par le vieil épiderme arrive vers la partie postérieure du corps ; il maintient ainsi sa dépouille entre ses dents pendant que les muscles du corps et de la queue exécutent des mouvements qui font détacher l'épiderme caduc ; l'opération terminée, il avale immédiatement son vieux vêtement, ainsi que nous avons pu le constater chez nos sujets captifs.

Les Urodèles n'ont pas de chant ; lorsqu'on les prend, ils font entendre parfois un bruit spécial quand ils ouvrent brusquement la bouche.

Nous ne savons si la Salamandre s'accouple à terre ou dans l'eau. Après l'accouplement, les œufs se développent dans le corps de la femelle. Lorsque les petits naissent, ils ont leurs quatre membres, leurs branchies externes et leur queue. Chaque Larve est entourée d'une enveloppe souple et transparente qu'elle déchire immédiatement. Elle vit dans l'eau durant plusieurs mois ; pendant ce temps ses poumons se forment, puis ses branchies s'atrophient, disparaissent peu à peu, et la jeune Salamandre sort de l'eau et va se réfugier dans les trous de terre, les fentes des rochers ou sous les racines des arbres.

Les Tritons s'accouplent dans l'eau et c'est ce liquide qui porte les spermatozoïdes dans les oviductes de la femelle. Ils pondent des œufs à vitellus arrondi et entouré d'une petite enveloppe albumineuse transparente et ovale. À sa sortie de l'œuf, la Larve a les branchies externes encore peu développées ; elle a une queue, mais pas de membres ; des tentacules situés sur les côtés de la tête lui servent à se fixer aux objets ; ses yeux sont formés. L'iris brillant et la forme allongée du petit être le font ressembler à un jeune Poisson. Bientôt la bouche s'ouvre, les viscères se forment et la Larve broute les plantes minuscules à la façon des Têtards d'Anoures. En quelques jours, la bouche est entièrement formée et la bête vit d'Insectes aquatiques, de leurs œufs et de leurs Larves. Les bourgeons qui doivent former les membres antérieurs allongent, les doigts se forment, et les tentacules, désormais inutiles, disparaissent. Les membres antérieurs se développent les premiers, les membres postérieurs ensuite ; tous croissent extérieurement et non sous la peau comme les membres antérieurs des Anoures. Les branchies externes deviennent touffues, puis diminuent et disparaissent pendant que les poumons se forment ; la nageoire dorso-caudale se résorbe et la queue s'arrondit ; alors le jeune Batracien quitte l'eau.

Les Urodèles grandissent lentement et ne reproduisent que vers leur troisième ou leur quatrième année ; ils sont beaucoup moins féconds que la plupart des Anoures. Adultes, ils n'ont pas beaucoup d'ennemis. À l'état larvaire, ils sont la proie des Couleuvres et d'une foule d'Insectes et de Larves qui vivent dans l'eau ; leurs parents ne se font aucun scrupule de les dévorer et ils se mangent même entre eux ! Les œufs des Tritons sont détruits par de nombreux Insectes aquatiques.

Ces Batraciens vivent de Lombrics, de Mollusques, de Crustacés, d'Insectes et de Larves, d'œufs d'Anoures et parfois de jeunes Têtards.

Tous nos Urodèles appartiennent au sous-ordre des Caducibranches ; ils n'ont des branchies que pendant l'état larvaire.

Famille des Salamandridés

GENRE SALAMANDRE, Salamandra - Laurenti.

Museau assez court ; yeux gros et très proéminents ; des parotides ; les deux mâchoires et le palais armés de petites dents ; membres courts, les antérieurs ayant quatre doigts courts non palmés, les postérieurs munis de cinq orteils courts non palmés ; queue un peu arrondie, longue, conique. Peau plissée, assez tuberculeuse en dessus, plus lisse en dessous.

Le mâle est un peu plus petit que la femelle, les parties avoisinant le cloaque sont plus grosses que chez cette dernière, sa tête est proportionnellement un peu plus large.

10. — Salamandre tachetée, Salamandra maculosa - Laurenti.

Salamandre tachetée, Salamandra salamandra

Noire en dessus, avec deux larges bandes d'un beau jaune vif plus ou moins interrompues et se réunissant parfois sur le museau et la queue ; quelques petits points noirs sur les parotides ; vers le bas de chaque flanc, une large bande jaune plus ou moins interrompue. Noirâtre en dessous, avec des taches jaunâtres assez grandes ; gorge jaune ; membres tachetés de jaune ; iris d'un brun presque noir. Taille : 0 m. 18 à 0 m. 21 du bout du museau au bout de la queue.

Nous ayons vu un assez grand nombre de Salamandres et nous avons remarqué qu'il est fort rare de trouver deux individus portant les marques jaunes disposées exactement de la même façon. Chez les mâles, les bandes jaunes sont ordinairement moins interrompues que chez les femelles ; nous avons souvent capturé des individus chez lesquels ces larges bandes allaient de la tête à la queue sans interruption.

La Salamandre tachetée n'est pas rare dans l'Indre ; elle est particulièrement commune dans le sud du département.

Elle n'a pas de période d'inactivité ; nous avons trouvé des sujets dans tous les mois de l'année, même en plein hiver, car cette espèce ne reste dans son abri que pendant les grands froids et sort de sa retraite dès que la température devient plus douce.

Elle circule rarement dans la journée ; pourtant, par les temps humides, on nous a apporté des sujets capturés en plein jour. C'est le soir qu'elle va à la recherche de sa nourriture qui se compose d'Insectes, de Crustacés, de Mollusques et de Vers ; c'est un animal utile. Nous avons disséqué beaucoup d'individus de cette espèce et nous avons presque toujours rencontré, même en hiver, des Limaces, de jeunes Hélices, des Cloportes et des Lombrics dans leur tube digestif. La peau de cet Urodèle laisse pénétrer l'eau déposée sur les herbes par la fraîcheur des nuits et cela suffit souvent pour fournir à l'animal la quantité de liquide nécessaire à son existence ; par les temps de grande sécheresse, la Salamandre va prendre un bain salutaire à la fontaine voisine et rentre dans son trou de rocher ou de terre dès les premières lueurs du jour.

Elle habite les endroits accidentés, frais et humides, se cache dans les trous situés à la base des vieilles murailles, sous les racines des arbres ou des haies, dans les fentes des rochers et les moindres fissures de la terre, sous les tas de bois ou de fagots. On la trouve parfois dans les caves des grands villages et des villes ; mais elle n'arrive là que parce qu'elle a été transportée dans les rivières par l'eau des fontaines et des ruisseaux, lorsqu'elle était encore à l'état larvaire, et que, après avoir échappé aux mille dangers auxquels elle était exposée dans les grands cours d'eau, elle s'est réfugiée sous les racines, les pierres, ou dans les glacis des rives, au moment de sa transformation ; elle a grandi là lentement et isolément ; puis, plus tard, ses pérégrinations nocturnes l'ayant amenée dans une cave, elle y vit comme elle peut pendant longtemps si elle y trouve une nourriture suffisante et l'humidité indispensable.

Il est fort difficile de capturer la Salamandre ; quoique abondante, cette bête ne se rencontre qu'accidentellement, presque toujours lorsqu'on ne la cherche pas. Comme il nous fallait un certain nombre de sujets pour nos études, nous avions prié les bûcherons, les chasseurs, les gardes, les cultivateurs des environs d'Argenton, de nous apporter cette espèce toutes les fois qu'ils la rencontreraient ; nous nous sommes procuré ainsi bon nombre de beaux exemplaires.

Nous nourrissons nos Salamandres captives au moyen de Blattes et de Lombrics. Nous avons remarqué qu'elles ne se montraient ordinairement qu'au crépuscule, circulaient toute la nuit et allaient de temps à autre se rafraîchir dans les petits bassins de leurs cages ; dès l'aurore, elles se cachaient sous la mousse.

À quelle époque et de quelle façon s'accouple cet Urodèle ? Nous l'ignorons. Ni dans les fontaines, ni dans nos cages, où pourtant nous avons de nombreux sujets qui s'y reproduisent, nous n'avons pu voir cet acte important. Nous avons vu, à différentes reprises, deux têtes, appliquées à peu près l'une sur l'autre, émerger de la mousse et rester ainsi très longtemps sans bouger ; mais chaque fois que nous avons essayé d'ouvrir la cage et d'enlever la mousse qui nous cachait les corps, nos bêtes se sont dérangées ; nous avons pourtant pu constater que c'était toujours la tête d'un mâle qui était sur celle d'une femelle. Nous pensons que l'accouplement a lieu pendant la belle saison, soit à terre par abouchement des cloaques, soit dans l'eau à la façon des Tritons ; il ne doit pas avoir lieu à la même époque pour tous les individus, car dans les premiers jours d'octobre on trouve des femelles sur le point de mettre bas, alors qu'en janvier, février et mars on en trouve d'autres dans le même état.

La Salamandre met bas d'octobre à avril et dépose ses Larves dans les fontaines ou dans l'eau très limpide des petits ruisseaux. Elle ne fait qu'une seule portée par an et cette portée se compose de 40 à 50 Larves, quelquefois plus.

Elle ne dépose pas tous ses petits le même jour, puisque d'octobre à avril on trouve des femelles ayant dans les oviductes un nombre plus ou moins considérable de Larves.

Citons quelques exemples de Salamandres dans lesquelles nous avons trouvé des Larves très développées ou sur le point de naître.

Femelle capturée le 1er octobre : oviductes remplis de Larves ; la mise bas n'est pas commencée.

Femelle capturée le 11 octobre : oviducte droit plein de Larves ; quelques petits sont sortis de l'oviducte gauche.

Femelle capturée le 12 octobre : oviducte droit contenant 25 Larves, celui de gauche 26 Larves et un œuf déformé, durci et n'ayant pas été fécondé ; la mise bas n'est pas commencée, mais les petits sont sur le point de naître.

Femelle capturée le 20 novembre : la mise bas est à moitié faite, il ne reste plus que 24 Larves dans les oviductes.

Femelle capturée le 22 décembre : la mise bas est presque terminée ; il ne reste plus que 5 Larves dans les oviductes.

Femelle capturée le 12 janvier : oviductes pleins de petits ; la mise bas n'est pas commencée.

Femelle capturée le 28 janvier : oviductes pleins de petits ; la mise bas n'est pas encore commencée.

Femelle capturée le 6 mars : oviductes pleins de petits ; 1a mise bas est à peine commencée.

Femelle capturée le 25 mars : oviductes vides.

Femelle capturée le 10 avril : oviductes vides.

En février, mars et dans les premiers jours d'avril, on trouve des femelles vides ou ayant un nombre plus ou moins considérable de Larves dans les oviductes.

Les petits se développent dans le corps de leur mère ; chaque Larve est contenue dans une enveloppe mince, souple et transparente qu'elle déchire aussitôt qu'elle est déposée dans l'eau.

À sa naissance, la jeune Larve a 30 à 33 millimètres de longueur, son museau est large, ses branchies externes sont assez touffues et ses quatre membres sont formés ; elle se déplace avec facilité au moyen de sa nageoire dorso-caudale assez large et longue, moins effilée que celle des Larves des Tritons et remontant moins haut sur le dos ; elle est d'un brun plus ou moins foncé, marqué de taches noirâtres plus ou moins apparentes sur les parties supérieures ; la nageoire dorso-caudale est maculée de taches noires ; les membres sont marqués de jaune blanchâtre près de l'endroit où ils touchent au corps ; les parties inférieures sont incolores et la peau, très transparente, laisse apercevoir les viscères. La jeune bête se nourrit d'Insectes aquatiques et de leurs Larves ; plus tard, lorsqu'elle sera plus forte, elle avalera les sujets de son espèce nés récemment, et plus la nourriture sera abondante, plus son développement sera rapide. À mesure qu'elle grandit sa coloration s'assombrit, mais vers la fin de la période larvaire des taches jaunâtres se montrent par endroits sur les parties supérieures. Puis les poumons se forment pendant que les branchies s'atrophient de plus en plus, et la jeune Salamandre, ayant besoin d'air, vit sur les pierres ou les plantes, près de la surface ; sa nageoire dorso-caudale diminue, sa queue s'arrondit, enfin elle sort de l'eau et va se cacher sous les pierres ou dans les trous humides. Elle a alors un costume plus ou moins noir marqué de taches jaunâtres et ne tarde pas à prendre la coloration de ses parents. Au moment de sa transformation, elle a 55 à 65 millimètres de longueur ; à un an, elle a de 95 à 115 millimètres ; à deux ans, 120 à 140 millimètres. Elle n'est en état de reproduire que vers sa quatrième année et à cette époque elle n'a pas encore atteint toute sa taille.

Lorsque les Larves sont nombreuses dans le même endroit, il n'est pas rare de trouver des sujets dont les branchies ou les pattes ont été arrachées par les autres Larves ; le premier cas est toujours assez grave ; quant au second, le mal n'est pas irréparable, car les membres ne tardent pas à se reformer. Nous avons vu des Larves naissantes, affamées, avaler jusqu'à des fragments d'épiderme de Salamandre adulte ; il est probable qu'elles dévorent aussi parfois, faute de nourriture, les poches dans lesquelles elles étaient contenues.

On a dit que la Salamandre mettait peut-être bas dans les cavernes humides et que les branchies des petits se résorbaient vite, alors que leurs poumons se développaient rapidement. Nous avons placé des Larves naissantes sur du sable humide recouvert de mousse humide ; nous avons mis des Vers de vase près des Larves, mais trois jours après ces dernières étaient mortes.

Dès les premiers jours d'octobre, aux environs d'Argenton, on rencontre des Larves naissantes dans la plupart des fontaines. MM. R. Parâtre et P. Tardivaux, à qui nous avions fait part de nos observations, ont trouvé eux aussi de nombreux sujets dans les fontaines des environs de Lourdoueix-Saint-Michel. Ces Larves se transforment fin février, en mars, en avril ou même plus tard si elles ont manqué de nourriture.

D'octobre à avril on trouve, avec les Larves dont nous venons de parler, d'autres sujets naissants ; c'est que des femelles sont venues, de temps à autre, déposer un certain nombre de petits ; mais alors, comme nous l'avons dit, ces derniers servent presque toujours de nourriture aux Larves déjà fortes. Les jeunes Larves nées les dernières, en mars ou dans les premiers jours d'avril, lorsqu'elles ont la chance d'échapper à la mort, se transforment en juillet ; mais lorsqu'elles ont été déposées dans des fontaines où la nourriture est rare, elles ne sortent de l'eau que beaucoup plus tard, car nous avons trouvé des Larves jusqu'à la fin d'août et même dans les premiers jours de septembre.

Le 5 avril 1892, nous prenons, dans les fontaines de Lavernier et de la Colombe, près d'Argenton, un certain nombre de Larves nées en février et mars. (En enlevant toutes les Larves d'une fontaine qu'on veut observer et en la visitant ensuite tous les huit jours, il est facile de connaître l'âge des Larves qu'on y rencontre de nouveau.) Nous plaçons nos Larves dans un aquarium muni d'un rocher et nous leur donnons des Vers de vase ; nous maintenons toujours l'eau très claire et nous mettons notre aquarium à l'abri des rayons du soleil. Du 8 au 30 mai, nos jeunes Salamandres quittent leurs branchies et vivent sur le rocher. Elles ont les parties supérieures noires et marquées de grandes taches dorées du plus bel effet ; ces taches perdront peu à peu leur coloration métallique et deviendront d'un beau jaune clair ; en dessous la peau est mince, incolore et laisse apercevoir un peu les viscères. Chez les jeunes sujets qu'on place dans des cages immédiatement après leur transformation et qui vivent sous la mousse, dans l'obscurité, on remarque que la teinte dorée, métallique, est moins brillante que chez ceux qui vivent sur les rochers des aquariums dans lesquels on les a élevés. Après sa sortie de l'eau, la jeune Salamandre transformée est avide de Pucerons et d'une foule de petits Insectes ; elle dévore aussi les Vers de vase qu'on place près d'elle, sur le rocher ou sur la mousse. La coloration noirâtre du dessous du corps ne tarde pas à se montrer et, au bout de deux ou trois mois, la bête a entièrement le costume de ses parents.

Le 5 avril 1892, nous avions laissé dans les fontaines de Lavernier et de la Colombe une vingtaine de Larves semblables à celles que nous voulions élever dans nos aquariums et nous avons souvent visité ces fontaines pendant que ces Larves s'y développaient. Moins bien nourries que leurs sœurs captives, elles se développèrent moins rapidement et ne sortirent de l'eau que vers la fin de juin et en juillet.

Du 14 au 22 octobre 1892, nous prenons un assez grand nombre de Larves naissantes dans les fontaines de Lavernier et de la Colombe, et MM. R. Parâtre et P. Tardivaux nous envoient, de Lourdoueix-Saint-Michel, des Larves nouvellement nées et ayant exactement la même taille que les nôtres, soit 32 à 33 millimètres. Nous plaçons toutes ces Larves dans un aquarium et nous leur donnons une abondante nourriture composée de Vers de vase. Elles se transformèrent et sortirent de l'eau du 8 janvier 1893 au 10 mars suivant. On voit que les Larves nées à la même époque ne se transforment pas toutes en même temps ; cela tient à ce que des sujets ont une constitution plus forte et se nourrissent mieux que d'autres.

Dans la nuit du 15 au 16 octobre 1892, une femelle dépose quelques Larves dans une fontaine des environs d'Argenton ; pendant les nuits suivantes, cette femelle (ou une autre) vient placer au même endroit un certain nombre de petits, car le 26 octobre les Larves y sont nombreuses. Le 3 décembre suivant, ces Larves ont à peine grossi, les vivres étant rares dans la fontaine ; le 9 janvier 1893, elles sont un peu plus fortes ; le 28 janvier, une d'elles a 54 millimètres de longueur, mais les autres sont beaucoup plus petites. Le 14 février, la grande Larve a 58 millimètres ; quelques Larves naissantes ont été déposées récemment dans la fontaine et servent de nourriture aux autres. Le 2 mars, la grande Larve a 62 millimètres ; les moyennes ont de 40 à 50 millimètres ; il y a avec elles un assez grand nombre de très jeunes sujets de 30 à 33 millimètres déposés depuis peu par les femelles. Le 22 mars, la grande Larve a toujours 62 millimètres, ses branchies sont presque entièrement résorbées et elle va sortir de l'eau ; ses autres compagnes ont grandi ; nous trouvons encore des Larves naissantes et l'une d'elles est dévorée devant nous par une de ses grandes sœurs. Le 20 avril, beaucoup de sujets n'ont presque plus de branchies et vont se transformer ; depuis notre dernière visite, les plus forts individus ont quitté l'eau. Le 13 mai, nous enlevons toutes les Larves qui restent et nous les portons dans un ruisseau. Nous voulions voir si d'autres petits seraient déposés dans la fontaine à la fin du printemps ou en été : jusqu'au mois d'octobre suivant, il n'est pas né une seule Larve dans cette fontaine.

De toutes ces expériences d'élevage en captivité ou en liberté, nous concluons que la Larve de la Salamandre peut se développer en trois mois lorsqu'elle est fortement constituée et si elle trouve une nourriture abondante dans l'endroit où elle est placée, mais qu'elle peut rester le double de ce temps à l'état larvaire si la nourriture est très rare dans la fontaine. Quant à la température de l'eau, elle ne joue aucun rôle dans le développement ; en plein hiver, l'eau contenue dans nos aquariums avait une température plus basse que celle des fontaines et pourtant les Larves se développaient plus rapidement chez nous qu'en liberté.

La Salamandre ne dépose pas toujours ses petits pendant la nuit ; elle vient aussi à l'eau en plein jour pour y mettre bas. La fontaine du parc de Lavernier avait été mise à notre disposition par le propriétaire, M. Maurice Chenou, capitaine au long cours, — un vieux camarade que nous tenons à remercier ici des beaux Reptiles exotiques qu'il nous a rapportés de ses nombreux voyages, — et plusieurs fois le jardinier, que nous avions chargé de regarder dans cette fontaine, deux ou trois fois dans la journée, d'octobre à avril, est venu nous prévenir que des femelles venaient de se rendre à l'eau en plein jour.

En 1892 et 1893, nos femelles captives ont parfois mis bas quelques Larves pendant le jour ; mais c'était principalement la nuit qu'elles venaient déposer leurs petits dans le bassin de leur cage.

Cette espèce ne nage pas avec la même facilité que les Urodèles du genre suivant et, d'octobre à avril, il n'est pas rare de trouver des femelles noyées dans les fontaines ; elle ne va à l'eau que lorsque c'est absolument nécessaire et elle n'y reste que peu de temps.

GENRE TRITON, Triton - Laurenti.

Museau assez court ; yeux moins gros et un peu moins proéminents que dans le genre précédent ; de petites dents aux deux mâchoires et au palais ; pas de parotides ; membres courts, les antérieurs ayant quatre doigts non palmés, les postérieurs cinq orteils palmés ou non selon les espèces ; queue longue, arrondie et conique lorsque l'animal vit à terre, élevée et comprimée latéralement lorsqu'il vit dans l'eau ; peau lisse ou granuleuse selon les espèces.

Le mâle est très légèrement plus petit que la femelle ; au moment du rut, son costume spécial le fait facilement reconnaître.

Les Larves des Tritons ont le museau moins large et la queue plus effilée que les Larves de Salamandre.

11. — Triton crêté, Triton cristatus - Laurenti.

Triton crêté, Triturus cristatus

Parties supérieures d'un brun foncé marqué de noir ; doigts et orteils annelés de jaune ; parties inférieures d'un jaune orangé, marquées de grandes taches noires ; gorge et flancs d'un brun noirâtre pointillé de blanc. Iris plus ou moins doré ou cuivré. Taille : 0 m. 15 à 0 m. 16 du bout du museau au bout de la queue.

Le mâle en noces porte sur le dos une crête élevée et dentelée, d'un brun foncé presque noir, partant de la tête et se terminant avant d'arriver à la queue ; cette crête devient très basse lorsque l'époque du rut est passée. La queue, qui était arrondie lorsque l'animal vivait à terre, devient plate, élevée lorsqu'il habite l'eau, et elle lui sert de nageoire ; elle est alors argentée sur les côtés et parfois plus ou moins jaunâtre dans sa moitié postérieure.

La femelle n'a pas de crête et est souvent marquée, sur le milieu du corps et de la queue, d'une ligne jaunâtre à peine visible.

La coloration de cette espèce varie du brun foncé, presque noir, au brun cendré.

Le Triton crêté est très commun dans l'Indre. En janvier, il est enfoui sous le sol ; mais quand les derniers jours de ce mois ne sont pas trop froids, quelques individus sortent de leur trou et se rendent à la mare voisine. En février, on rencontre, en fouillant les mares au moyen d'un troubleau, des couples dont les mâles ont déjà revêtu le costume de noces. Si à ce moment il survient des froids, ces Urodèles quittent l'eau et retournent sous terre ; mais quelques imprudents sont restés dans les mares ; aussi, lorsque la couche de glace devient très épaisse, il n'est pas rare, au dégel, de trouver leurs cadavres à demi décomposés.

Le beau temps revenu, les Tritons regagnent l'eau, et, en mars, ils y arrivent en grand nombre pour s'y accoupler pendant ce mois et les deux mois suivants.

En grand costume, sa haute crête dorsale ondulant gracieusement, le mâle s'approche de la femelle, la touche de son museau, agite l'eau au moyen de sa queue qu'il replie sur l'un des côtés de son corps, approche son cloaque le plus près possible de celui de sa compagne et lance sa liqueur fécondante. La femelle ouvre son cloaque, et le liquide spermatique, transporté par l'eau, entre et féconde les quelques œufs contenus dans les oviductes. Ces œufs pondus, un nouvel accouplement est nécessaire, aussi cet acte se répète-t-il assez souvent pendant plusieurs semaines, tant que dure la ponte de la femelle. Bien entendu, les couples formés se désunissent à chaque instant et un mâle va indifféremment d'une femelle à l'autre.

La femelle choisit un endroit rempli d'herbes aquatiques pour y déposer ses œufs. Elle saisit une feuille dans ses membres postérieurs, la ploie sur son cloaque et pond dans ce pli ordinairement un œuf, rarement deux. Au moyen de ses pieds, elle maintient son œuf pendant quelques instants pour lui donner le temps de se coller et elle va plus loin continuer sa ponte, ou bien, si la feuille est longue, elle y fait plusieurs plis qui contiennent chacun un œuf.

L'œuf du Crêté est oblong ; son vitellus arrondi est d'un blanc jaunâtre. L'embryon se forme peu à peu et est très visible par suite de la transparence des enveloppes de l'œuf ; pendant les derniers jours, il s'agite beaucoup et finit par s'échapper de sa prison.

Dans le courant de mai, les mâles perdent leur costume de noces ; leurs couleurs se ternissent, leur crête diminue et devient toute petite, leur queue s'arrondit ; ils quittent les mares et vivent à terre, sous les pierres ou dans les moindres fissures du terrain. En juin, il n'y a plus que quelques sujets dans l'eau ; en juillet et août on y rencontre parfois de très rares individus, des jeunes de un ou deux ans surtout, venus aux mares pour s'y rafraîchir ; en septembre, ils sont un peu plus nombreux.

Vers la fin d'octobre et en novembre, beaucoup de sujets sont à l'eau ; la crête des mâles commence à grandir de nouveau, alors que se montre la coloration argentée des côtés de la queue. Fin novembre, si le temps devient froid, ces bêtes quittent l'eau et se réfugient sous terre pour y passer, à moitié engourdies, les mois de décembre et de janvier ; pourtant, si la température n'est pas trop basse, on rencontre encore accidentellement quelques individus dans les mares.

À terre, le Triton crêté se nourrit de Lombrics, de Mollusques, de Crustacés et d'Insectes ; dans l'eau, il dévore les Insectes aquatiques et leurs Larves, les Têtards d'Anoures et les Larves d'Urodèles.

Dans presque toutes les mares, il habite en compagnie du Triton palmé ; dans d'autres, il vit avec le Palmé et le Marbré, et alors il s'accouple souvent avec ce dernier, et l'hybride qui en résulte est le Triton de Blasius, dont nous parlerons lorsque nous décrirons l'espèce suivante.

Métamorphoses. — Le 1er mai 1892, dans une mare des environs d'Argenton habitée par le Crêté et par le Palmé, mais dans laquelle nous n'avons jamais capturé le Marbré, qui existe pourtant dans d'autres mares situées à quelques centaines de mètres de là, nous prenons une cinquantaine d'œufs de Crêté fixés aux feuilles des plantes aquatiques. Comme il est impossible de confondre l'œuf de cette espèce avec celui du Palmé, nous étions donc absolument certains d'avoir en notre possession l'œuf du Crêté. Quelques-uns de ces œufs étaient sur le point d'éclore et laissèrent échapper leur Larve le soir même ; chez d'autres, frais pondus, les petits ne sortirent que le 21 mai.

À sa naissance, la Larve a 10 millimètres de longueur ; ses yeux sont formés, mais sa bouche n'est pas ouverte. Au microscope, on voit très bien ses branchies assez longues mais peu ramifiées, ses tentacules situés de chaque côté de sa tête, et aussi les bourgeons qui formeront ses membres antérieurs. Elle a la queue assez longue et la nageoire dorso-caudale bien développée ; elle nage très bien et se repose souvent au fond du bassin. Elle est d'un jaune clair, porte une bande longitudinale noire sur chaque flanc et une autre bande de même couleur sur la queue et le dos ; cette dernière bande se bifurque en arrivant à la tête. Le 22 mai, chez les Larves les plus âgées nées dans les premiers jours du mois, les membres antérieurs sont longs, grêles et ont trois doigts ; chez d'autres Larves, un peu plus jeunes, ces membres n'ont que deux doigts. Les plus fortes Larves sont longues de 18 millimètres ; leur coloration devient un peu plus noirâtre sur les parties supérieures ; leurs branchies sont très développées ; leurs tentacules existent toujours ; on n'aperçoit pas encore les bourgeons qui formeront les membres postérieurs ; leur tube digestif est plein d'œufs et de très jeunes Larves d'Insectes aquatiques. Le 26 mai, les plus fortes Larves ont 20 millimètres ; leurs membres antérieurs se forment de plus en plus ; on voit les bourgeons des membres postérieurs. Le 31 mai, elles ont 26 millimètres ; elles sont brunes en dessus, et, en dessous, la peau très transparente et incolore laisse apercevoir les viscères ; leur nageoire dorso-caudale est maculée de taches noires et lisérée de blanchâtre ; leurs branchies sont touffues ; leurs membres antérieurs sont formés mais toujours grêles et ont chacun quatre doigts dont les deux du milieu sont très longs ; leurs tentacules ont disparu. Le 6 juin, elles ont 35 millimètres; leurs membres postérieurs se développent et leurs orteils sont déjà assez longs. Le 1er juillet, les grandes Larves ont 70 millimètres; leurs quatre membres, un peu grêles, sont bien formés; leurs branchies sont longues et touffues. Elles sont d'un brun olivâtre en dessus, avec des taches noirâtres sur le corps et sur la queue; le dessous est d'un blanc jaunâtre. Le 15 juillet, elles ont à peu près la même longueur et sont d'un brun noirâtre foncé avec des marbrures d'un brun plus clair. Les côtés de la tête, du corps et de la queue sont fortement pointillés de blanc; la queue se borde de jaune en dessous; le corps est jaune clair en dessous, avec quelques points noirs; les branchies et la nageoire dorso-caudale diminuent. Le 1er août, les plus fortes Larves ont 80 millimètres; les points blanchâtres sont plus nombreux sur les flancs et la queue; une raie d'un brun clair se montre sur le dessus du corps et de la queue; les parties inférieures deviennent de plus en plus jaunes et de nombreuses taches noirâtres paraissent sous la gorge et la poitrine. La nageoire diminue toujours; les branchies s'atrophient, les poumons se forment et quelques sujets vont sortir de l'eau. Du 1er au 15 août, les transformations sont nombreuses; ce jour-là il ne reste plus dans le bassin que douze Larves très avancées dont les branchies disparaissent peu à peu. À son arrivée à l'état parfait, le jeune Crêté est noirâtre en dessus, avec les flancs et les côtés de la queue piquetés de blanc; il est jaune en dessous, avec des taches noires; sa gorge est noirâtre et finement pointillée de blanc; ses doigts semblent moins longs que lorsqu'il était à l'état larvaire; il prend de plus en plus le costume de ses parents. Le 1er septembre, une seule Larve est encore à l'eau, et, arrivée à l'état parfait, elle sort du bassin le 19 du même mois. Nous avons nourri nos Larves de Crêté en plaçant dans leur bassin des Larves et des pontes d'Insectes aquatiques, de jeunes Larves d'Anoures, mais surtout des Vers de vase. Nous avons souvent remarqué qu'alors que nos bassins contenant des Têtards d'Anoures étaient remplis d'Insectes et de leurs Larves, ceux qui contenaient des Larves d'Urodèles en renfermaient fort peu; aussi étions-nous obligés de temps à autre de transporter nos Urodèles dans les bassins des Anoures où ils trouvaient une nourriture abondante, et vice versa. Les Larves d'Urodèles sont tellement voraces qu'elles se mangent entre elles ; les plus grosses dévorent les petites, puis s'arrachent l'extrémité de la queue, qui, du reste, se reforme assez vite. Lorsque le jeune Crêté quitte l'eau, il va se cacher sous terre, de préférence dans les endroits humides; parfois nous retrouvions dans nos bassins quelques sujets qui venaient s'y rafraîchir, mais ils n'y restaient que peu de temps.

Dans les mares, on trouve des Larves de cette espèce jusqu'à la fin de novembre; ce sont des sujets souffreteux ou provenant de pontes tardives et qui se développent lentement.

Un an après sa transformation, ce Triton a 10 centimètres de longueur; il ne reproduit qu'à sa troisième ou à sa quatrième année; les mâles sont plus précoces que les femelles.

12. Triton marbré, Triton mamoratus - Latreille.

Triton marbré, Triturus marmoratus

Museau un peu plus large que chez l'espèce précédente. Parties supérieures vertes, marbrées de noir; parties inférieures noirâtres, pointillées de blanc; iris plus ou moins doré ou cuivré. Taille: 0 m. 14 à 0 m. 16 du bout du museau à l'extrémité de la queue.

Le mâle en noces porte, de la tête à la queue, une crête colorée de noir et de brun clair, moins élevée que celle du Triton crêté, à peine dentelée, s'abaissant beaucoup au niveau des membres postérieurs, mais reliée à la partie membraneuse de la queue. Celle-ci est ornée sur les côtés, dans toute sa longueur, d'une large bande argentée et dorée; elle est parfois légèrement jaunâtre à son extrémité et sur la membrane du dessous. Élevée et aplatie lorsque l'animal vit dans l'eau, la queue s'arrondit lorsqu'il vit à terre après l'époque des amours.

La femelle n'a pas de crête ; elle porte une ligne rougeâtre sur le dessus du corps.

La coloration de cette espèce varie beaucoup et les parties vertes sont souvent d'un vert jaunâtre ou brunâtre. René Parâtre nous a même montré un Triton marbré mâle dont les parties vertes étaient entièrement remplacées par du brun clair ; il avait pris ce sujet dans une mare des environs de Thenay. Nous avons capturé dans le même endroit des individus presque semblables à celui qui avait été pris par notre ami.

Le Triton marbré est très commun aux environs du Blanc et d'Argenton ; il n'est pas rare dans le sud du département, mais il est beaucoup moins répandu dans le nord.

Vers le milieu d'octobre, quelques individus se rendent aux mares et dans les réservoirs des grandes fontaines ; bientôt le mouvement s'accentue et à la fin du même mois ou en novembre on peut capturer bon nombre de Tritons de cette espèce en pêchant au troubleau. Ils commencent à prendre leur costume d'eau, ou costume de noces. S'il survient de grands froids fin novembre ou en décembre et janvier, presque tous les Marbrés quittent l'eau et vont se réfugier sous terre. Lorsque les mares gèlent profondément, on voit, après le dégel, les cadavres des imprudents flotter à la surface.

Aux premiers jours de février, lorsque la température est favorable, notre Urodèle met le museau hors de son trou et se décide à se rendre à la mare voisine ; si les grands froids recommencent, il sortira encore de l'eau, s'enfoncera sous terre dans la première fissure ou dans le premier trou qu'il trouvera sur son chemin et en sortira dès que le temps sera moins inclément. À cette époque, les mares gèlent ordinairement peu profondément et les Tritons restés dans le liquide ne périssent que rarement. Le costume d'eau s'atténue ou s'accentue selon que la bête vit à terre ou dans les mares et les larges fossés.

C'est surtout à la fin de février ou au commencement de mars que cette espèce se rend à l'eau. Les mâles se parent rapidement des brillantes couleurs de leur costume de noces ; les femelles, elles aussi, sont assez joliment colorées et, vers le milieu de mars, commencent la fécondation et la ponte, qui s'opèrent de la même façon que chez le Crêté ; les amours dureront jusqu'à la fin de mai. Pendant cette période, les Marbrés sont très communs dans les mares où ils viennent s'accoupler.

Durant son long séjour à l'eau, cette espèce se nourrit d'Insectes aquatiques et de leurs Larves, de Mollusques, de Crustacés, de Larves d'Anoures et d'Urodèles ; elle dévore même les Tritons de petite taille : un Marbré que nous venions de capturer rendit un Palmé adulte à moitié digéré !

En juin, on trouve dans les mares quelques couples de retardataires dont les mâles perdent le costume de noces et qui ne tarderont pas à sortir de l'eau. En juillet, août et septembre, les Marbrés vivent à terre, dans les fissures du sol, dans les trous, sous les pierres, et se nourrissent d'Insectes, de Mollusques et de Lombrics ; on ne rencontre dans l'eau que de très rares sujets qui sont venus s'y rafraîchir ; en octobre la migration vers les mares recommence.

Dans les eaux fréquentées par le Marbré, on trouve la Larve de cette espèce en avril, mai, juin, juillet, août et même en septembre. Dans les anciennes marnières contenant de l'eau blanchâtre, on rencontre des Larves incolores n'ayant que quelques taches noires sur la nageoire dorso-caudale ; dans les mêmes eaux, les Têtards d'Anoures sont aussi en partie décolorés.

Le venin sécrété par la peau du Marbré est aussi dangereux pour les petits animaux que celui du Crêté. Nous avions mis, dans le même aquarium, quelques Palmés en compagnie de Marbrés ; ces derniers aimaient à se reposer sur les grandes plaques de liège flottant à la surface de l'eau et les Palmés avaient la déplorable habitude de se percher sur le dos de leurs grands congénères. Les Marbrés, agacés par le sans-gêne des Palmés, exsudèrent leur venin qui pénétra à travers la peau très perméable des importuns; aussi, presque chaque jour, trouvions-nous dans notre aquarium les cadavres d'un ou deux Palmés, et nous ne comprenions rien à cette épidémie, lorsqu'un matin que nous observions nos bêtes, nous vîmes un Palmé, juché sur un Marbré, se laisser choir de sa monture et dégringoler sur le liège en se tordant dans des convulsions terribles ; de là, la victime tomba dans l'eau où elle ne tarda pas à périr; nous avions le mot de l'énigme et nos Palmés, séparés des Marbrés, se portèrent à merveille.

À nos Crêtés et Marbrés captifs nous donnons des Lombrics comme principale nourriture.

Métamorphoses. — Le 22 avril 1893, nous prenons, dans quelques mares des environs d'Argenton, un certain nombre de femelles de Triton marbré et nous les plaçons dans un aquarium muni de nombreuses plantes aquatiques. Dès le 24 avril, ces bêtes nous donnèrent des œufs fécondés. Les mâles que nous mettions dans notre aquarium ne s'occupaient pas des femelles ; aussi, pour avoir des œufs susceptibles de se développer, étions-nous obligés de prendre des femelles, de les laisser pondre pendant quelques jours et de les remplacer par de nouvelles recrues.

Il nous a été facile d'observer minutieusement la façon de pondre de cette espèce. La femelle saisit un brin d'herbe dans ses pattes postérieures et le ploie en deux en l'appuyant sur son cloaque, qu'elle frotte vigoureusement en y tenant la feuille appliquée. Après quelques efforts et des pressions réitérées, l'œuf sort et la bête le tient fixé dans le pli de la feuille au moyen de ses pieds dont les orteils se croisent parfois, il sort deux œufs l'un après l'autre et ils se trouvent ainsi fixés dans le même pli. La femelle, immobile, maintient son œuf dans le pli pendant quatre minutes pour lui donner le temps de se coller; puis elle s'en va ailleurs déposer un autre œuf ou bien elle continue sa ponte sur la même feuille à laquelle elle fait de nombreux plis. Au moment exact de la sortie de l'œuf du cloaque, la bête relève ordinairement sa queue à droite ou à gauche. L'œuf du Marbré ressemble beaucoup à celui du Crêté ; il a une forme ovale, est transparent, son vitellus arrondi est jaune ou le plus souvent d'un blanc jaunâtre.

Les premières Larves sortent de l'œuf le 10 mai, après 16 jours d'incubation (nous employons ce mot pour les Classes des Reptiles, Batraciens et Poissons quoiqu'il ne soit pas exact, puisque les femelles ne restent pas sur leurs œufs; nous nous en servons seulement pour indiquer la durée du développement entre la ponte et l'éclosion). À sa naissance, la jeune Larve du Marbré a 10 millimètres de longueur; elle ressemble beaucoup à celle de l'espèce précédente, mais elle a la tête un peu plus grosse; elle est jaunâtre, avec une raie noirâtre sur chaque flanc; le dessus du corps est noirâtre, puis, avant d'arriver à la tête, cette teinte noire se bifurque et se réunit ensuite vers l'extrémité du museau. Il y a deux tentacules à la tête et on voit, au microscope, les bourgeons qui formeront les membres antérieurs; les branchies externes sont très peu touffues; la bouche n'est pas ouverte; la queue et la nageoire dorso-caudale sont assez développées. Le 24 mai, les plus fortes Larves ont 15 millimètres; elles sont légèrement verdâtres en dessus et finement pointillées de noir; on ne voit plus les bandes noires qui existaient pendant les premiers jours. Leur tête est large, leurs branchies sont un peu plus touffues; les tentacules ont disparu; la bouche est formée et ouverte, les viscères et l'anus sont formés depuis longtemps et nos jeunes élèves se nourrissent de Larves et de pontes d'Insectes aquatiques; les membres antérieurs se forment, les doigts sont grêles et allongés; on ne voit pas encore trace des membres postérieurs; la membrane dorso-caudale est maculée de taches noires. Le 10 juin, les plus grandes Larves ont 28 millimètres ; elles sont d'un jaune verdâtre en dessus, avec de très petits points noirs ; la nageoire dorso-caudale est maculée de taches noires sur ses bords ; les membres antérieurs sont formés ainsi que les doigts et sont toujours grêles ; on ne voit pas encore les bourgeons des membres postérieurs ; les branchies sont longues et assez touffues. Le 20 juin, ces Larves ont beaucoup grandi et mesurent 42 millimètres ; elles sont un peu plus foncées en dessus ; en dessous, la coloration est d'un blanc légèrement cuivré, métallique ; la gorge est incolore ; la nageoire porte de grandes taches noires, est légèrement bordée de blanchâtre et très effilée ; les branchies sont longues, touffues, d'un brun rougeâtre ; les membres antérieurs et postérieurs sont formés, mais encore très grêles. Le 10 juillet, les plus grandes Larves ont 58 et 60 millimètres ; elles sont d'un brun verdâtre en dessus, avec de très gros points noirs qui se touchent par endroits et formeront plus tard les marbrures ; une raie roussâtre, ou plutôt rougeâtre, part de la tête et se prolonge jusque sur la queue ; le dessous du corps est jaunâtre, métallique ; la gorge est incolore ; la nageoire dorso-caudale est toujours très développée ainsi que les branchies ; les membres sont plus gros, les doigts et les orteils paraissent moins allongés. Nous plaçons la plus forte des Larves dans un aquarium ; elle sort de l'eau le 13 juillet et se place sur le rocher, le corps à demi plongé dans le liquide ; les branchies ont déjà commencé à se résorber avant la sortie de l'eau et elles disparaissent rapidement lorsque le petit animal vit à l'air et respire au moyen de ses poumons ; la nageoire dorso-caudale diminue rapidement et la queue s'arrondit de plus en plus. Le jeune Marbré devient vert en dessus, avec des marbrures noires ; la raie des parties supérieures est encore plus rougeâtre ; les parties inférieures n'ont pas changé de couleur et ce n'est que beaucoup plus tard qu'elles ressembleront à celles de l'adulte. Le petit Urodèle quitte l'eau complètement et vit sur le rocher ; ses branchies ont disparu et, le 17 juillet, on ne voit plus à leur place que de très petites excroissances noirâtres ; nous le nourrissons avec des Vers de vase et des Pucerons. Les Larves restées dans le bassin et provenant des œufs pondus les derniers continuent à se développer et la dernière sort de l'eau le 24 août.

Comme nous possédons des Marbrés que nous avons élevés les années précédentes, nous pouvons donner quelques détails sur leur croissance après leur transformation. À un an, ces Tritons ont de 77 à 95 millimètres de longueur ; chez les sujets les moins forts, la coloration des parties inférieures n'est pas encore absolument semblable à celle des adultes, elle est plus pâle ; les plus grands individus ont ces parties semblables à celles de leurs parents. À deux ans, ils ont 11 à 12 centimètres.

 

Nous avons dit que le Crêté reproduisait avec le Marbré et que l'hybride qui en résultait était le Triton de Blasius, Triton blasii (A. de L'Isle) [Triturus cristatus x Triturus marmoratus].

Ce Triton est très commun aux environs du Blanc et d'Argenton, dans les mares où viennent s'accoupler les Crêtés et les Marbrés. Nous l'avons toujours pris dans les endroits où cohabitent les deux espèces et nous ne l'avons jamais trouvé dans les contrées habitées seulement par l'une ou l'autre de ces espèces ; cet Urodèle est donc bien l'hybride du Crêté et du Marbré. Nous avons vu, dans quelques mares aux eaux claires et peu profondes, les espèces procréatrices procéder à l'acte de la fécondation.

À l'état adulte, le Triton de Blasius est de plus forte taille que le Marbré et le Crêté. Il présente de nombreuses variétés qui le rapprochent tantôt d'un type, tantôt de l'autre. Cet hybride est fécond et il s'accouple non seulement avec ses semblables, mais encore avec les espèces dont il provient.

Plusieurs fois, des femelles hybrides nous donnèrent, dès le lendemain de leur capture, des œufs qu'elles fixaient aux plantes comme les autres femelles des Tritons ; ces œufs se développèrent.

Le Triton de Blasius a les mêmes mœurs que le Crêté et le Marbré et on 1e trouve dans les mares aux mêmes époques qu'eux.

La tête de cet hybride a plutôt la forme de celle du Marbré. En dessus, il a les couleurs du Marbré, mais elles sont très atténuées, brunâtres, et parfois les parties vertes sont à peine visibles ; en dessous, il a une teinte plus ou moins jaunâtre, avec des taches noirâtres et des points blanchâtres ; sa crête est assez élevée, plus ou moins sombre, et souvent dentelée comme celle du Crêté. C'est en le plaçant dans de l'eau très claire et en l'exposant au soleil pendant quelques instants qu'on verra paraître, plus ou moins distinctement selon chaque individu, la coloration verte des parties supérieures.

13. Triton ponctué, Triton punctatus - Dugès.

Triton ponctué, Lissotriton vulgaris

Parties supérieures d'un brun plus ou moins clair ; parties inférieures jaunâtres et parfois rougeâtres sous le ventre. En dessus et en dessous, de grosses taches noires arrondies ; des rayures de même couleur ornent la tête ; iris cuivré ou doré.

Chez le mâle en noces, la crête est peu élevée et ondulée ; les orteils sont lobés. La femelle a les taches noires beaucoup moins apparentes que le mâle ; elle ressemble en dessus à celle du Palmé, mais elle est plus grande.

Longueur totale : 0 m. 085 à 0 m. 090.

Le costume de terre est moins brillant que la tenue de noces, la queue est arrondie et la crête du mâle devient très petite.

Le Ponctué et le Palmé sont beaucoup plus lisses que les Tritons précédents, dont la peau, celle des parties supérieures surtout, est granuleuse et comme chagrinée.

Le Triton ponctué est rare. Nous l'avons capturé dans une mare des environs du Blanc, et R. Parâtre l'a pris près de Valençay.

Nous ne connaissons ni son œuf, ni sa larve.

Il est peut-être moins aquatique que l'espèce suivante, mais il doit avoir à peu près les mêmes mœurs.

14. — Triton palmé, Triton palmatus - Schneider.

Triton palmé, Lissotriton helveticus

Parties supérieures brunes ou d'un brun clair parfois olivâtre, avec de nombreuses taches irrégulières d'un brun noirâtre ; parties inférieures jaunâtres, rarement marquées de quelques points noirs ; gorge incolore.

Chez quelques femelles, on voit une teinte noirâtre, ondulée, sur le haut de chaque flanc ; ordinairement ces bêtes ont une coloration légèrement verdâtre et ont peu de taches brunes. Iris cuivré.

Le mâle en noces porte sur le dos une petite crête non dentelée qui se prolonge sur la queue et un pli très prononcé sur le haut de chaque flanc ; il a la partie inférieure de la queue marquée de blanc.

Ses orteils sont largement palmés et sa queue est terminée par un mince filet assez allongé.

En costume de terre, cet Urodèle est brunâtre en dessus et jaunâtre en dessous ; ses belles couleurs se ternissent, sa queue est moins haute et le petit filet qui la termine disparaît presque ; les plis du haut de chaque flanc et la petite crête du dos sont à peine visibles ; la palmure des orteils diminue beaucoup.

Longueur totale : 0 m. 070 à 0 m. 085.

Ce Triton est très commun. C'est vers le milieu du mois d'octobre que les Palmés commencent à se rendre aux mares, aux fossés et aux fontaines ; dès la fin de ce mois et en novembre les sujets y sont nombreux ; ils prennent peu à peu le costume d'eau ou costume de noces.

En décembre, janvier et février, la plupart restent à l'eau, attendant l'époque des amours qui débute en mars ou au commencement d'avril, parfois même en mai.

La fécondation et la ponte s'opèrent de la même façon que chez les autres Tritons ; le mâle agit comme ses congénères et a les mêmes manières lorsqu'il s'approche de la femelle.

En arrachant les herbes aquatiques, on trouve fréquemment les œufs de cette espèce sur les mêmes plantes que celles que choisissent les Crêtés et les Marbrés ; la coloration brunâtre de leur vitellus et leur petitesse les font facilement reconnaître de ceux des grandes espèces.

La ponte continue en mai et dure jusque vers le milieu de juin pour les retardataires. Les couleurs brillantes du costume de noces disparaissent et les Palmés quittent l'eau vers la fin de juin, pour vivre à terre cachés sous les pierres, dans les fissures du sol, dans les trous, sous les racines des arbres. En juillet, août, septembre et jusqu'au milieu d'octobre, on ne les trouve à l'eau qu'accidentellement ; les très rares Palmés qu'on prend dans les mares pendant cette période sont des individus en costume de terre venus là pour y prendre un bain et qui retournent bientôt dans leurs retraites.

Dans l'eau, cette espèce se nourrit d'Insectes aquatiques et de leurs Larves, de petits Mollusques et de Crustacés, d'œufs et de jeunes Têtards d'Anoures, de petites Larves d'Urodèles ; à terre, elle vit d'Insectes, de Vers, de Mollusques et de Crustacés.

Dans les mares et les fossés, on prend la larve du Palmé en avril, mai, juin, juillet et août ; elle met deux mois ou deux mois et demi pour se développer et sortir de l'eau. Dans les fontaines un peu herbues, nous avons souvent rencontré jusqu'en novembre la larve de ce Triton ; nous pensons même qu'elle passe parfois l'hiver dans l'eau et qu'elle achève de se développer en mars ou avril. L'eau des fontaines étant plus froide au printemps que celle des mares, l'accouplement et la ponte doivent être retardés ; de plus, la nourriture y étant beaucoup moins abondante que dans les mares, les Larves se transforment moins vite.

Métamorphoses. — En novembre 1892, nous plaçons dans un aquarium six couples de Tritons palmés. Ces bêtes vivent ordinairement dans l'eau, montent à la surface pour respirer et plongent aussitôt ; parfois elles se reposent sur le rocher de leur prison. Pendant les froids, nos Urodèles mangent peu ; mais dès le mois de mars ils dévorent les Vers de vase et les petits Lombrics que nous leur donnons.

À la fin de novembre, des femelles pondirent quelques œufs qui n'étaient pas fécondés.

Dans les premiers jours d'avril 1893, les mâles s'approchèrent de leurs compagnes et la période de fécondation commença pour ne se terminer qu'en juin ; les femelles nous donnèrent les premiers œufs fécondés le 12 avril et les derniers vers le 15 juin. Lorsqu'une femelle est disposée à pondre, elle se place près des plantes aquatiques, saisit une feuille avec ses membres postérieurs et se l'applique sur le cloaque ; des mouvements latéraux de la queue indiquent l'instant exact de la sortie de l'œuf. Alors elle retire son cloaque de la feuille, serre cette dernière entre ses pieds à l'endroit où se trouve l'œuf et reste ainsi dans une immobilité absolue ; au bout de deux ou trois minutes, l'œuf est collé dans le pli. La femelle s'en va ailleurs continuer sa ponte ; mais si la feuille est longue, elle lui fait de nombreux plis qui contiennent chacun un œuf, parfois deux et rarement trois ; souvent aussi elle pond à l'aisselle d'une feuille, sans faire de pli. Lorsqu'elle a déposé un certain nombre d'œufs, elle se repose plus ou moins longtemps, puis elle s'accouple de nouveau et recommence à pondre. L'œuf est petit, ovale, transparent ; le vitellus est arrondi et a une teinte d'un brun clair, mais il est parfois brunâtre dans une partie et jaunâtre ou blanchâtre dans l'autre ; à mesure que l'embryon se développe, l'œuf s'élargit et s'allonge un peu. L'éclosion des Larves a lieu du quinzième au dix-septième jour après la ponte.

Tous les huit jours, pendant le temps de la reproduction, nous renouvelons les plantes de l'aquarium et nous portons dans un des bassins de notre jardin celles qui sont chargées d'œufs. En laissant éclore les Larves dans l'aquarium, nous nous exposions à les perdre, car elles n'y auraient pas trouvé la nourriture nécessaire à leur existence et elles auraient pu être dévorées par leurs parents. Pendant les premiers temps de leur vie, il faut à ces bêtes des algues microscopiques et des pontes ou de très jeunes larves d'Insectes aquatiques.

Les Larves provenant des premiers œufs pondus par nos Palmés naissent le 28 avril. Au moment de l'éclosion, la petite Larve a 8 millimètres de longueur ; elle est d'un brun clair légèrement jaunâtre, est marquée de taches noires formant une bande sur chaque flanc et, en dessus, d'une autre bande qui se bifurque en arrivant à la tête. Les branchies externes sont allongées et peu touffues ; les yeux sont formés ; les bourgeons qui formeront les membres antérieurs sont assez longs et on aperçoit, au microscope, les très petits bourgeons qui, en s'allongeant, formeront les doigts ; on ne voit pas trace des membres postérieurs ; les viscères ne sont pas entièrement formés ; la bouche et l'anus ne sont pas ouverts ; des tentacules sont situés de chaque côté de la tête et permettent à l'animal de se fixer aux objets ; la queue et la nageoire dorso-caudale sont formées, mais encore peu développées. La Larve reste au même endroit pendant des heures entières, puis se déplace avec vivacité et retombe dans une immobilité presque absolue. En quelques jours, elle a grandi un peu ; sa bouche est ouverte ainsi que son anus ; ses viscères sont formés ; elle mange des algues, mais ce régime dure peu et bientôt elle se nourrit de pontes, de très jeunes Larves d'Insectes et de tous les animalcules qui vivent dans l'eau. Sa coloration change ; son corps est très finement pointillé de noir en dessus et on ne distingue plus les bandes noires ; ses membres antérieurs sont presque formés mais très grêles ; les bourgeons qui formeront les membres postérieurs apparaissent ; les tentacules ont disparu ; les branchies sont assez touffues. Le 24 mai, la plus forte Larve a 16 millimètres ; en dessus, elle est d'un brun jaunâtre très clair, finement pointillé de noir ; la membrane dorso-caudale n'a pas de grandes taches noires, elle est finement pointillée comme le dessus du corps ; les membres antérieurs et les doigts sont toujours très grêles ; les bourgeons des membres postérieurs sont déjà longs et on voit ceux qui formeront les orteils. Le 10 juin, elle a 30 millimètres ; les branchies sont longues et touffues, les quatre membres sont entièrement formés ; elle est d'un brun olivâtre ou plutôt jaunâtre en dessus, avec une série de petites taches blanchâtres ou jaunâtres, de coloration parfois métallique, formant une sorte de ligne sur chaque flanc ; la membrane dorso-caudale est finement pointillée de noirâtre, mais ne porte pas de taches noires. Le 25 juin, elle a 38 millimètres ; elle est d'un brun clair en dessus avec des parties sombres ondulées sur le haut des flancs et une bande très claire sur la ligne médiane, sauf sur la tête ; en dessous, elle est d'un jaune à reflets un peu métalliques ; sa gorge est incolore ; ses branchies commencent à se résorber, ses poumons achèvent de se former ; ses membres sont moins grêles ; sa nageoire dorso-caudale est moins large. Nous la mettons dans un aquarium ; le 26 juin, elle sort de l'eau et se place sur le rocher. Sa queue s'arrondit ; ses branchies se résorbent rapidement et, le 29 juin, on ne les voit presque plus. Cette bête étant arrivée à l'état parfait, nous lui donnons la liberté et elle se cache immédiatement sous une motte de terre. Les Larves du bassin continuent à se développer ; les plus grandes mangent les petites et, de temps à autre, des sujets transformés quittent l'eau. Cela continue ainsi jusqu'au 29 août ; ce jour-là, il ne reste plus à l'eau qu'une Larve albinos mesurant 40 millimètres de longueur et ayant ses quatre membres très bien formés.

Lorsque nous visitions notre bassin, nous voyions toujours une jolie Larve blanche qui se développait bien et ne paraissait nullement maladive ; nous étions loin de penser qu'elle allait nous fournir l'occasion d'observer un cas extrêmement curieux de durée prolongée de l'état larvaire. Toutes nos autres Larves, provenant comme elle de nos couples de Palmés, avaient une coloration normale et même assez foncée, car l'eau de leur bassin était toujours maintenue très limpide et on sait que plus le liquide est clair, plus les Larves ont de belles couleurs. Cette bête présentait donc un cas d'albinisme complet, et cela ne paraissait nuire en rien à sa santé, puisqu'elle avait 40 millimètres au moment où la dernière de ses sœurs quittait l'eau ; c'est dire qu'elle était un peu plus forte que la plus grande des autres Larves. Nous la plaçons dans un aquarium muni d'un rocher et nous lui donnons des Vers de vase en abondance. Il ne faudrait pas croire qu'une Larve qui a atteint presque tout son développement se transforme moins vite dans un aquarium que dans un vaste bassin ; bien au contraire, car nous avons constaté que les larves d'Urodèles, lorsqu'elles sont déjà très fortes, arrivent à l'état parfait bien plus vite lorsqu'on les met dans un aquarium que lorsqu'on les laisse dans le bassin où elles ont été élevées. Le 10 septembre, cette Larve a 45 millimètres ; elle est d'un blanc très légèrement jaunâtre et sa peau est tellement transparente qu'on voit tous les viscères ; ses branchies sont rougeâtres. Elle passe encore tout l'automne et tout l'hiver sans se transformer, puisque le jour où nous écrivons ces lignes, 22 mars 1894, elle est toujours à l'état larvaire ; sa nageoire dorso-caudale très développée et ses branchies longues et touffues ne montrent aucun indice d'une transformation prochaine. Elle est d'un blanc très légèrement jaunâtre en dessus, avec des points dorés plus ou moins allongés, formant une sorte de ligne sur le haut des flancs et les côtés de la queue ; en regardant attentivement cette Larve, on aperçoit quelques points noirâtres, presque imperceptibles, disséminés sur le corps et la queue ; ses branchies sont d'un brun rougeâtre, ses parties inférieures sont incolores ; sa peau est moins transparente. Elle mesure 53 millimètres de longueur et il est bien rare de trouver des Larves de son espèce ayant une aussi forte taille. Voilà donc une bête qui, quoique très développée et bien portante, est en retard de près de sept mois sur la plus faible de ses sœurs et qui ne semble pas être sur le point de se transformer.

 

On peut observer chez les Urodèles le phénomène de la rédintégration, c'est-à-dire que les parties non indispensables à la vie qui ont été enlevées par suite d'accident peuvent se reformer.

Nous donnons comme exemple le fait suivant : le 15 mai 1892, nous prenons un Triton palmé adulte nouvellement amputé du membre antérieur gauche ; ce membre était représenté par un bourgeon pointu mesurant un millimètre de longueur. Nous installons notre bête dans une cage et nous lui donnons en abondance des Vers de vase et des Lombrics. Le 15 juin, le nouveau membre a cinq millimètres de longueur ; le coude est formé, les doigts apparaissent. Le 15 juillet, il a sept millimètres ; il est assez gros et les doigts continuent à se former. Le 15 août, il a neuf millimètres. Le 15 septembre, il est presque semblable au membre qui n'a pas été amputé. Le 15 mai 1893, un an après la capture de l'animal, le membre reformé est presque semblable à l'autre ; pourtant, en l'examinant attentivement on s'aperçoit qu'il est un peu plus court. Cet accident n'a pas affaibli notre Triton ; c'était une femelle et elle a reproduit en 1893 avec nos autres Palmés.

 

** Le Triton alpestre, Triton alpestris (Laurenti) [Mesotriton alpestris], n'existait pas dans l'Indre il y a quelques années ; nous l'y avons acclimaté et maintenant il se reproduit dans les mares situées entre Argenton et le Pêchereau. Les sujets adultes nous avaient été envoyés de Turin (Italie), par le docteur Peracca, et de Saint-Germain (Seine-et-Oise), par R. Parâtre. Ces Tritons ont d'abord reproduit chez nous, puis nous en avons mis de nombreux couples en liberté et, depuis cette époque, nous avons eu plusieurs fois le plaisir de rencontrer cette charmante espèce et sa larve dans les mares désignées ci-dessus et dans les grands fossés du voisinage.

Le mâle en noces a les parties supérieures bleuâtres et porte une crête noire et jaune, petite et non dentelée ; ses flancs sont dorés, pointillés de noir et bordés de bleu clair en dessous. Les parties inférieures sont d'un jaune très foncé presque rouge. Taille : 0 m. 090.

La femelle est un peu plus grande que le mâle ; elle a les parties supérieures brunes ou d'un brun marbré de verdâtre, les flancs bleuâtres, pointillés de noir, les parties inférieures d'un jaune plus ou moins foncé maculé parfois de quelques points noirs.

L'œuf de cette espèce est plus gros que celui du Palmé, son vitellus est brun clair.

La Larve est généralement plus grande que celle du Palmé ; elle a la nageoire dorso-caudale large et fortement tachetée de noir ; elle est beaucoup plus noirâtre en dessus que la larve du Palmé. Au moment de sa transformation l'Alpestre prend la coloration de ses parents, mais pendant quelque temps les couleurs des jeunes mâles ressemblent un peu à celles des femelles.

 


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