REPTILES OPHIDIENS

Sous-ordre des Toxodontes

Les Reptiles de ce sous-ordre sont munis d'un appareil venimeux. Lorsqu'ils mordent, le venin est conduit dans la blessure par deux crochets longs et recourbés situés à la mâchoire supérieure. Les Toxodontes de l'Indre appartiennent à la division des Solénoglyphes. Chacun des grands crochets est pourvu d'un canal qui communique par sa base avec le réservoir à venin et s'ouvre en avant de la pointe du crochet. Ils ont des dents ordinaires au palais et à la mâchoire inférieure. Leur bouche peut se dilater.

Famille des Vipéridés

GENRE VIPÈRE, Vipera - Laurenti.

Tête large, surtout vers sa base, couverte de petites écailles ou de plaques ; le bout du museau retroussé ou non en dessus ; pupille verticale. À la mâchoire supérieure, en avant, deux longs crochets venimeux. Cou bien distinct ; corps un peu moins allongé que chez nos autres Ophidiens, gros, assez cylindrique ; queue courte, conique, pointue. Écailles des parties supérieures et des côtés carénées.

12. Vipère aspic, Vipera aspis - Linné.

Vipère aspic, Vipera aspis

Tête couverte de petites écailles ; parfois on trouve, vers le milieu de la tête, une, deux et même trois écailles un peu plus grandes que les autres, mais qui ne peuvent être confondues avec les plaques de la Vipère bérus. Bout du museau retroussé.

Parties supérieures brunes, noirâtres ou rougeâtres, avec des taches noires plus ou moins grandes, plus ou moins rapprochées selon chaque individu, et pouvant former un zigzag sur le dessus du corps ; une ligne noire, bordée de blanchâtre en dessous, part de l'œil et se prolonge jusqu'à la naissance du cou. Parties inférieures grisâtres ou noirâtres, légèrement roussâtres par endroits, souvent très sombres et même presque noires ; gorge d'un blanc jaunâtre. Gastrostèges : 150 ; urostèges : 40 paires. Longueur totale : 0 m. 60 à 0 m. 66.

Très commune dans les contrées chaudes et rocailleuses, dans les bois, les brandes et les vignes.

Dès la fin de février, mais le plus souvent en mars, la Vipère aspic sort du trou de rocher ou de terre, ou bien encore de l'arbre creux qui lui a servi d'abri pendant la mauvaise saison, et s'allonge ou s'enroule non loin de sa demeure, dans un endroit bien abrité où elle reçoit les rayons d'un soleil bienfaisant. À ce moment, ses mouvements sont extrêmement lents ; aussi malheur à qui trouble son voluptueux repos ; sachant que son salut n'est pas dans la fuite, elle fera tête à l'adversaire et se servira immédiatement de ses crochets redoutables. La première morsure au sortir de l'hivernage est très dangereuse, car le réservoir étant plein, le venin sera inoculé à plus forte dose.

Elle ne s'éloigne pas de son trou, où elle rentre dès que la fraîcheur se fait sentir ; aussi lorsqu'à cette époque on rencontre une Vipère, en cherchant bien on trouvera certainement plusieurs individus à une petite distance du premier, car presque toujours quelques sujets se réunissent et s'entassent les uns sur les autres, dans le même trou, pour y passer l'hiver.

Vers la fin de mars, lorsque la température est favorable, ou en avril, cette espèce a repris toute son activité ; mais ses mouvements sont toujours beaucoup plus lents que ceux des Couleuvres, même pendant les temps chauds et orageux de l'été.

C'est en avril ou mai que l'accouplement a lieu. Le mâle et la femelle s'enroulent autour l'un de l'autre et réunissent leurs cloaques, que le double pénis du mâle, hérissé de papilles dures et longues, tient solidement joints ; parfois plusieurs couples sont enchevêtrés les uns dans les autres et forment un amas grouillant et soufflant dont l'apparition soudaine impressionne l'erpétologiste le plus endurci. Troublés dans leurs fonctions, les amoureux essayeront de fuir ; chacun tirera de son côté et bien souvent cette brusque séparation coûtera au mâle la perte d'un de ses pénis, qui, gonflé et retenu par ses papilles, se rompra et restera dans l'organe de la femelle. Plusieurs fois nous avons pris des mâles mutilés de la sorte.

La Vipère est ovovivipare ; les petits se développent dans le corps de la mère, et lorsqu'ils naissent, fin août ou en septembre, ils ont déjà 19 ou 20 centimètres de longueur. Nous avons ouvert un grand nombre de femelles pleines et nous avons trouvé de quatre à neufs petits, jamais plus. Quelques naturalistes disent que la Vipère fait jusqu'à vingt petits, mais nous n'avons pas eu la satisfaction de constater le fait ; pourtant nos observations ont porté parfois sur les femelles de 0 m. 65 et 0 m. 66 de longueur, c'est-à-dire sur des exemplaires de forte taille. Nous ayons remarqué des fœtus bruns et d'autres rougeâtres dans le corps de la même femelle ; ces petits étaient sur le point de naître et leur coloration était parfaitement visible.

Les jeunes Vipéreaux se nourrissent de Lombrics et d'Insectes ; ils se développent lentement et ne commencent à reproduire que vers leur troisième année ; à ce moment ils n'ont pas encore atteint toute leur taille.

La forme de la pupille de ce Reptile semble indiquer que c'est un animal qui circule la nuit. La Vipère doit donc chasser au crépuscule, mais nous l'avons vue bien des fois ramper en plein jour à la recherche de sa nourriture. Nous avons souvent retiré de son tube digestif des petits Mammifères, de jeunes Oiseaux, des Lézards, jamais de Batraciens ou de Poissons. Elle s'introduit dans les terriers des petits Rongeurs et dévore les jeunes : le 6 mai 1889, nous avons trouvé, dans l'intérieur d'une Vipère, trois Mulots âgés de quelques jours et ne voyant pas encore clair. Elle s'embusque, repliée sur elle-même, près d'un tas de pierres ou de fagots, ou bien dans une haie, et lorsqu'un petit Mammifère passe à sa portée, elle le frappe de ses crochets. Comme la circulation est très active chez les Campagnols et les Mulots, le venin agit rapidement et la victime tombe foudroyée à une faible distance de la Vipère qui en fait bientôt sa proie. Il est certain qu'elle ne frappe pas inutilement et qu'elle saisit les très jeunes Rongeurs sans faire fonctionner son appareil venimeux. Les petits des Oiseaux qui nichent à terre sont souvent ses victimes : elle prend un jeune Oiseau et s'enfuit, puis revient et fait de même ; en deux heures, elle a dévoré les quatre ou cinq petits qui composaient la nichée. À défaut de Mammifères et d'Oiseaux, elle mange des Lézards ; elle s'attaque même à des sujets de grande taille. Nous avons pris une Vipère qui venait d'avaler un énorme Lézard vert dont la queue lui sortait encore par la bouche ; comme il n'y avait pas la place nécessaire pour loger cette proie, et comme la digestion est lente chez les Reptiles, il eût fallu un certain temps pour que l'appendice caudal du Saurien disparût entièrement. Il serait curieux d'assister à la prise d'un Lézard vert par cet Ophidien. Ce Lézard est extrêmement vigoureux ; nous avons été témoins de ses luttes avec la Belette, dont les mâchoires sont autrement puissantes que celles de la Vipère. Il faut donc croire que, dans cette circonstance, les crochets venimeux sont employés, et pourtant le venin doit agir plus lentement sur un Lézard que sur un petit Mammifère, à cause de la circulation bien moins rapide.

Aux premiers froids, fin octobre ou en novembre, elle se retire dans son trou, dans un rocher ou un arbre creux, sous les racines des grands arbres, et y passe la mauvaise saison dans un repos absolu, mais sans être pour cela entièrement engourdie. En plein hiver, nous avons tué une Vipère dans les rochers des Clous, près d'Argenton. Ce Reptile, dérangé probablement dans sa somnolence, était sorti de sa retraite, et, le froid l'ayant saisi, n'avait pu aller se cacher ailleurs et était resté en détresse ; il semblait mort, mais s'agita un peu sous le coup de bâton qui lui brisa l'échine.

Chez cette espèce on rencontre des sujets mélanos, mais ils sont très rares : une Vipère entièrement noire a été tuée il y a quelques années près du Pouzet, aux environs d'Argenton, par un garde du chemin de fer : cet employé a tué des quantités de Vipères sur le terrain confié à sa garde et c'est la seule fois qu'il ait rencontré la variété noire.

L'appareil venimeux se compose d'une glande située en arrière de l'œil et qui sécrète le venin ; de cette glande part un canal assez large qui contient une partie du venin et communique avec la base du crochet creux. Ce crochet est placé sur un sus-maxillaire mobile : il est couché en arrière et caché dans un repli de la gencive.

Lorsque le Reptile veut mordre, il ouvre largement la gueule ; les sus-maxillaires font bascule, non pas automatiquement, mais par la volonté de l'animal ; alors les crochets sont amenés en avant et leur pointe apparaît hors de la gencive. À ce moment, d'un mouvement rapide, il projette la partie antérieure de son corps ; le museau vient frapper la victime, les crochets s'enfoncent, les muscles qui entourent la glande et le réservoir se contractent et font sortir le venin qui entre dans la plaie par l'extrémité du crochet. Comme le crochet venimeux est exposé à se briser, trois ou quatre autres crochets plus ou moins développés sont situés près de lui, en arrière, et prendront successivement sa place en cas d'accidents réitérés.

Le venin a une coloration jaune pâle et est un poison violent lorsqu'il entre dans la circulation ; il n'a pas d'action, paraît-il, sur un tube digestif sain ; c'est un poison du sang et des nerfs. Quant à la rapidité et à la violence des accidents, tout dépend de la quantité de venin inoculée à la victime.

Les cas de morsures de Vipère ayant occasionné la mort chez l'Homme sont extrêmement rares dans le département ; nous n'avons connaissance que du fait suivant : un ouvrier, mordu à la cuisse, dans les bois de Luant, mourut moins de vingt-quatre heures après avoir été blessé.

Ordinairement, il y a gonflement de la partie atteinte et la tuméfaction peut envahir une partie du corps ; ce phénomène est accompagné de syncopes, de sueurs froides, de vomissements bilieux, de diarrhée et de frissons. Le seul moyen d'éviter les troubles graves est d'enlever le venin. Aussitôt qu'une personne est mordue, on doit établir une ligature, si la chose est possible, au moyen d'un mouchoir roulé et fortement serré, ou bien avec un morceau de lisière de drap. Avec un canif, on fait des incisions à l'endroit où les crochets ont pénétré, on suce la plaie ou on y applique une étroite et puissante ventouse. Une personne qui a la bouche saine peut sucer les plaies sans danger ; pour plus de précautions, elle devra cracher et se rincer la bouche après chaque succion. On cautérise au fer rouge ou, d'après le Dr Viaud-Grand-Marais, avec un mélange à parties égales d'acide phénique et d'alcool, et on enlève la ligature. M. Kauffmann, professeur à l'école vétérinaire d'Alfort, recommande d'injecter assez profondément, au moyen d'une seringue de Pravaz, à l'endroit de la blessure faite par chacun des crochets, deux ou trois gouttes d'une solution aqueuse à 1 pour 100, soit de permanganate de potasse, soit d'acide chromique. On fait ensuite trois ou quatre injections semblables autour du point mordu, sur les parties tuméfiées, et on peut renouveler les injections lorsque la tuméfaction augmente. Si ces soins sont donnés immédiatement après la morsure, les suites ne seront pas graves. Si, malgré cela, la tuméfaction devient considérable, on fera des frictions légères d'huile d'olive ; on donnera au malade des infusions sudorifiques auxquelles on ajoutera cinq ou six gouttes d'ammoniaque et on relèvera ses forces par des boissons alcooliques ; s'il y a des frissons, on pourra employer le sulfate de quinine. Avec des soins énergiques, tous les troubles cessent bientôt et la convalescence est plus ou moins longue selon la constitution de l'individu.

Depuis une quinzaine d'années, de nombreux cas de morsures ont été observés par les médecins d'Argenton, du Blanc et de Saint-Benoît, où cette Vipère est très commune ; ils n'ont pas constaté un seul accident mortel.

Chez le Chien, les cas de mort sont moins rares. Le 20 mars 1893, le piqueur de MM. Mercier-Génétoux promenait sa meute dans un bois des environs de Tendu, lorsque tout à coup une Chienne se mit à aboyer violemment à quelques pas de lui, et il vit sa bête arrêtée devant deux Vipères. Il avança vite et tua les Reptiles. Malheureusement, la Chienne avait été mordue au museau par une des Vipères, peut-être même par les deux, et quelques instants après elle gisait inerte sur le sol. Cette Chienne, d'assez forte taille, fut portée dans une voiture et ramenée à Argenton où nous la vîmes quatre heures environ après l'accident. Il n'y avait pas d'enflure, mais la victime ne faisait aucun mouvement et la respiration seule indiquait qu'elle n'était pas morte. Malgré les soins, cette bête succomba pendant la nuit. Sur le cadavre, pas la moindre trace de tuméfaction. C'est la première fois que nous avons vu une blessure de ce genre ne pas occasionner un gonflement plus ou moins considérable, et ce cas est d'autant plus curieux qu'il a été suivi de mort.

Nous avons constaté des accidents mortels sur plusieurs Chiens, mais le plus souvent le blessé ne succombe pas. En octobre 1885, un Basset nous appartenant fut mordu au pied postérieur droit et tomba presque aussitôt complètement anéanti. Il nous fut impossible de trouver trace des blessures, sous les poils, mais une très légère enflure se montra bientôt, augmenta rapidement et nous fit connaître l'endroit de la morsure. Nous fîmes immédiatement une ligature au-dessus du jarret, et trois ou quatre fois, de demi-heure en demi-heure, nous enlevâmes la ligature pour la remettre quelques instants après. De cette façon, l'empoisonnement se fit progressivement et notre bête ne succomba pas. Plusieurs de nos Chiens, mordus à la tête, se rétablirent promptement malgré un accablement profond, une tuméfaction considérable et l'absence absolue de soins.

Les grands Mammifères eux-mêmes ne sont pas à l'abri de tout danger. Rien que dans les environs de Saint-Gaultier, de Saint-Marcel, de Tendu et d'Argenton, M. de Braux, vétérinaire, nous a dit avoir constaté la mort de plusieurs Bœufs et d'un Cheval.

La Vipère a de nombreux ennemis. Elle est dévorée par les Blaireaux et les Hérissons, par le Circaëte Jean-le-Blanc, les Buses et les Busards. Certains Chiens la tuent très adroitement : nous avons une Chienne qui l'attaque avec fureur et en a tué plus de vingt-cinq ; elle s'est fait mordre une seule fois et a été malade pendant quatre jours, ce qui ne l'empêcha pas de recommencer dès qu'elle en trouva l'occasion.

13. — Vipère bérus ou péliade, Vipera berus - Daudin.

Vipère péliade, Vipera berus

Tête portant en son milieu une grande plaque ayant la forme d'un écusson ; deux plaques sont situées en arrière de l'écusson et sont parfois suivies de deux autres plaques beaucoup plus petites ; museau non retroussé.

Parties supérieures brunes, parfois très légèrement olivâtres, avec des taches d'un brun très foncé, presque noir, formant zigzag sur le dessus du corps ; lèvres bordées de blanc. Parties inférieures d'un blanc jaunâtre sous la gorge, d'un gris bleuâtre, presque noir, sous le corps, et d'un gris bleuâtre foncé, marqué de taches roses, sous la queue. Gastrostèges : 143 ; urostèges : 23 paires environ, mais souvent plus. Longueur totale : 0 m. 56 à 0 m. 60.

Cette espèce est très rare dans l'Indre. Nous l'avons capturée plusieurs fois en Brenne dans les brandes de l'étang du Blanc, à la Gabrière, à Migné. Elle semble ne pas exister dans le sud du département ; nous ne l'avons jamais prise aux environs d'Argenton. Nous avons bien tué près de cette ville, et nous conservons dans notre collection, une Vipère ayant sur la tête trois plaques ressemblant à celles de la Vipère bérus, mais dont le museau est retroussé comme celui de l'Aspic. Ce sujet est une Vipère aspic et n'est pas même un hybride des deux espèces, car nous sommes certains que la Vipère bérus n'existe pas dans la contrée.

Les naturalistes qui voudront se procurer ce Reptile devront le rechercher en Brenne ; il doit exister aussi dans le nord du département.

Nous pensons que la Vipère bérus a les mêmes mœurs que l'Aspic et que son venin est aussi dangereux que celui de l'espèce précédente.

 

 


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