BATRACIENS ANOURES

Famille des Ranidés

GENRE GRENOUILLE, Rana - Linné.

Museau moins court que dans le genre précédent ; des dents à la mâchoire supérieure et au vomer ; pas de parotides ; peau granuleuse par endroits chez la Grenouille verte et la Rousse, plus lisse chez l'Agile. Des plis formant des bourrelets sur les côtés de la tête et le haut des flancs ; ces plis sont moins accusés chez l'Agile. Quatre doigts non palmés aux membres antérieurs ; membres postérieurs longs, ayant chacun cinq orteils palmés.

Les mâles sont de plus petite taille que les femelles, ont les membres antérieurs plus gros et sont munis de deux sacs vocaux, qui se montrent chez la Grenouille verte au moment du chant et sortent par deux fentes situées en arrière de la bouche ; chez les deux autres espèces, ces sacs sont internes. Ils ont, au moment du rut, des brosses copulatrices au pouce.

2. — Grenouille verte, Rana viridis - Linné.

Grenouille verte, Pelophylax kl. esculentus

Verte en dessus, avec des taches noirâtres principalement sur le dos, les flancs et les membres postérieurs ; une raie d'un vert clair ou d'un jaune verdâtre sur le milieu du corps ; plis du haut des flancs ayant ordinairement des marques d'un brun clair. Blanche en dessous, souvent marbrée de noirâtre. Iris doré ou brun doré, pupille horizontale.

Tête et corps : 0 m. 085 à 0 m. 087 ; membre postérieur : 0 m. 13 à 0 m. 14.

La coloration de cette espèce est très variable ; de nombreux individus sont presque entièrement bruns sur les parties supérieures, d'autres sont bleuâtres.

Extrêmement commune, on la rencontre sur les mares, les étangs, les bords des rivières herbues, pendant toute la belle saison, on pourrait presque dire durant toute l'année, puisqu'elle disparaît tard et reparaît dès le mois de février.

Elle reste presque tout le jour à la surface de l'eau et, à la nuit tombante, sort pour chasser les Insectes, les Vers, les Mollusques et les jeunes Batraciens. De temps à autre, les mâles poussent leur cri : croac, couac, grok, groek, groek ; mais c'est surtout pendant l'accouplement, en mai et juin, qu'ils se réunissent et mènent grand tapage dans les pays couverts de mares ou d'étangs. Des cris nombreux se font entendre, puis tout se tait brusquement ; alors un, deux, trois individus jettent quelques notes et toute la bande entonne bientôt son chant assourdissant, se tait tout à coup et recommence ensuite.

Au moment du rut, ces Batraciens prennent leur costume de noces : les parties vertes deviennent d'un vert jaunâtre et les mâles sont armés de leurs brosses copulatrices.

Chaque couple choisit un endroit où l'eau est assez claire, où les plantes aquatiques sont nombreuses, et la femelle pond plusieurs masses d'œufs que le mâle féconde au moment de leur expulsion. La glaire qui enveloppe ces œufs gonfle vite et les fixe souvent aux plantes environnantes ; ces masses glaireuses, très limpides, ont parfois un volume assez considérable ; les œufs sont extrêmement nombreux et assez rapprochés les uns des autres ; leur face supérieure est brune, l'inférieure est d'un beau jaune clair.

Après l'accouplement, la Grenouille verte reste à l'eau ou à proximité de la mare ou de l'étang qu'elle habite. À l'approche des froids, elle se réfugie dans les trous de terre, sous les tas de détritus, ou bien encore dans la vase, au fond des eaux.

Les cuisses de cette espèce sont fort estimées d'un grand nombre de personnes ; c'est un mets excellent. Nous connaissons un habitant d'Argenton qui exerce pendant sept mois chaque année le métier de pêcher des Grenouilles. De la fin de mars à la fin d'octobre, il prend environ 40 000 Batraciens et il en a capturé jusqu'à 1 400 le même jour. La gent coassante lui rapporte ainsi, bon an, mal an, de six à huit cents francs et il n'explore les environs que dans un rayon de vingt kilomètres !

L'équipement nécessaire pour ce genre de pêche est peu coûteux. Il suffit de se procurer une perche de noisetier assez longue mais peu flexible, d'y attacher une ficelle très fine ayant exactement la même longueur et de se munir d'un sac assez profond pour que les Grenouilles ne puissent en sortir lorsqu'il est ouvert, car le Batracien dont nous nous occupons, quoique n'étant pas un acrobate aussi distingué que l'Agile (Rana agilis), a les jarrets vigoureux.

Lorsqu'on est arrivé sur le bord de la mare ou de l'étang, on cherche l'endroit où les Batraciens sont le plus agglomérés, et, après avoir attaché au bout de la ficelle, qui ne porte pas d'hameçon, un petit morceau de drap rouge, une fleur, ou simplement quelques brins d'herbe roulés en boule, on lance légèrement l'appât le plus près possible du museau d'une Grenouille. Cette première capture est la plus difficile à obtenir et elle se fait souvent attendre pendant plusieurs minutes. Enfin, sollicitée par l'appât qu'on fait sautiller délicatement devant elle, la bête se décide à le saisir dans ses mâchoires et achève de l'enfoncer dans sa bouche en s'aidant de ses mains ; on l'enlève alors sans secousse, et, puisque la ficelle est de même longueur que la perche, la Grenouille vient facilement à portée de la main gauche du pêcheur. Aussitôt prise, on l'écorche, on roule la peau de façon à ce qu'elle forme, une fois attachée à la place du premier appât, un petit paquet allongé ayant à peine la grosseur d'une olive ; ce nouvel appât durera pendant toute la journée.

Si les Grenouilles sont abondantes et le pêcheur patient, les captures seront nombreuses. Sous aucun prétexte on ne doit courir après celles qu'on échappe et qui, ahuries, affolées par l'enlèvement qu'elles viennent de subir, s'enfuient parfois du côté opposé à l'eau, dans laquelle du reste elles ne tardent pas à revenir ; en restant calme, on pourra les reprendre un peu plus tard et on n'aura pas effrayé, par des mouvements désordonnés, celles qui sont dans la mare. On change de place le moins souvent possible ; les Grenouilles, très curieuses, viennent peu à peu se placer en face du pêcheur et happent à qui mieux mieux l'appât qu'il leur présente. Là aussi le silence est d'or et il est parfaitement inutile de coasser ; quelque bien imitée que soit la voix, les Batraciens ne s'y laissent pas prendre et ne tardent pas à s'éloigner de l'orateur.

Parfois, on a la désagréable surprise de voir un Reptile saisir l'appât. Ce trouble-fête est toujours un Tropidonote à collier ou un Tropidonote vipérin, ces espèces étant très communes dans le pays. L'occasion de prendre des Couleuvres se présente assez souvent, trop souvent même, puisqu'il faut remplacer l'appât dès qu'un Tropidonote y a mordu, sans quoi les Batraciens n'y touchent plus que rarement.

Le Sonneur à pieds épais (Bombinator pachypus), si commun dans le département, est un voisin fort ennuyeux qui ne se gêne nullement pour saisir l'appât qui ne lui est pas destiné ; mais, dans ce cas, il est inutile de changer l'amorce.

À l'époque du rut, du 15 mai à la fin de juin, les Grenouilles, occupées à se reproduire, dédaignent l'appât ; elles ont alors une coloration jaunâtre, ce qui fait dire aux pêcheurs que " lorsqu'elles sont jaunes, elles ne mordent pas ".

Nous avons souvent pratiqué avec grand succès cette pêche, amusante.

Malgré les nombreux ennemis qu'elle compte parmi les Mammifères, les Oiseaux et les Reptiles, la Grenouille verte est tellement féconde que c'est encore un de nos Batraciens les plus répandus.

Métamorphoses. — Le 16 mai 1892, nous trouvons une ponte fraîche dans une mare du Terrier-Joli, aux environs d'Argenton. Nous la plaçons dans un des bassins de notre jardin. Le 21 mai, les premiers Têtards sortent de la glaire, et, dès le lendemain soir, tous sont éclos. À sa naissance, la Larve a une longueur de 6 millimètres ; les branchies externes sont apparentes, les yeux ne sont pas encore formés, la bouche est représentée par une ouverture très petite, l'anus n'est pas ouvert ; elle est d'un brun clair roussâtre et elle a la queue et la nageoire caudale assez développées ; deux mamelons, situés sous la bouche, servent au petit animal à s'accrocher aux objets. Ces mamelons existent pendant la première période chez presque toutes les larves d'Anoures. En cinq jours, la bouche, les yeux, l'anus, les viscères se forment, les branchies externes deviennent internes ; le spiraculum est ouvert sur le côté gauche du corps ; les jeunes Têtards, qui commencent déjà à brouter les plantes aquatiques minuscules, passent de la première à la deuxième période. Le 31 mai, les Larves ont 13 millimètres de longueur ; les bourgeons qui doivent former les membres postérieurs sont visibles au microscope chez les sujets les plus avancés ; chez les autres, ils sont invisibles. Le 10 juin, les Larves ont 16 millimètres ; les bourgeons sont apparents chez la plupart des sujets, mais on ne les aperçoit pas encore chez les individus peu développés. Le 20 juin, la plus forte Larve a 22 millimètres de longueur ; elle est d'un brun foncé olivâtre en dessus, l'abdomen est cuivré, la nageoire est finement pointillée de noir. La troisième période commence, car les bourgeons sont visibles chez tous les sujets. Le 30 juin, la larve a 33 millimètres ; elle a le museau plus allongé que chez l'espèce précédente ; les bourgeons se développent. Le 10 juillet, elle a 37 millimètres ; les membres postérieurs commencent à se former et, au microscope, on voit les bourgeons qui formeront les orteils. Le 20 juillet, les plus fortes Larves ont 46 millimètres ; les membres postérieurs allongent, les orteils se forment ; la nageoire dorso-caudale est de plus en plus maculée de taches noires ; le dessus du corps est d'un brun olivâtre ; le dessous a une teinte légèrement cuivrée, métallique. Une de ces Larves va passer à la quatrième période ; elle perd sa forme ovoïde et on aperçoit ses membres antérieurs remuer sous la peau. Le 31 juillet, les Larves à la troisième période ont de 45 à 53 millimètres. Le corps, chez les plus fortes, est brun verdâtre en dessus ; une raie plus pâle se montre sur le haut de chaque flanc, une autre raie est située sur la ligne médiane ; en dessous, la teinte est toujours métallique ; les membres postérieurs sont développés, les orteils sont formés et palmés. Une Larve est depuis quelques jours à la quatrième période et sa queue a même beaucoup diminué ; le dessus de son corps devient vert et est marqué de grandes taches brunes ; la raie des flancs est jaunâtre ; les membres antérieurs sont marqués de taches brunes, les postérieurs portent des taches transversales de même couleur ; le dessous du corps perd sa teinte métallique et devient blanc. Cette Larve sort de l'eau le 1er août, ayant encore un bout de queue ; nous la mettons en cage, et, le 6 août, la queue est entièrement résorbée. Le petit Batracien est arrivé à l'état parfait et prend de plus en plus le costume de ses parents ; il a 22 millimètres du museau à l'anus. Le 10 août, beaucoup de sujets sont à la fin de la quatrième période et vivent sur les plantes du bassin, car maintenant les poumons remplacent les branchies et les bêtes ont besoin d'air. D'autres individus sont à la quatrième période, d'autres à la troisième. Depuis le 1er août, un certain nombre de sujets sont arrivés à l'état parfait, et, le 20 du même mois, il ne reste dans l'eau qu'une quinzaine de Larves aux troisième et quatrième périodes. Le 20 août, nous mettons dans un aquarium un sujet sur le point de passer à la quatrième période. Le 21 août, dans la soirée, cette Larve est au début de la quatrième période et a dégagé un de ses membres antérieurs ; le 22 août, dans la matinée, elle dégage son second membre antérieur et elle est à la quatrième période. Elle sort de l'eau le 25 août, ayant encore un petit bout de queue ; le 29 août, la queue a disparu et le jeune Batracien est à l'état parfait. Le 31 août, il y a encore dans le bassin quelques Larves aux troisième et quatrième périodes ; le 10 septembre, il n'en reste plus que trois ; le 20 du même mois il n'y en a plus qu'une. Nous plaçons cette dernière Larve de la ponte dans un aquarium et elle est entièrement transformée le 28 septembre.

Les jeunes Grenouilles vertes, arrivées à l'état parfait, s'éloignent peu des bassins ; à la moindre alerte, elles sautent à l'eau.

Le Têtard de cette espèce arrive à une assez forte taille dans les grandes mares où il trouve une abondante nourriture ; nous avons pris des sujets ayant plus de 80 millimètres de longueur.

Parfois, mais rarement, la Grenouille verte dépose ses œufs dans les réservoirs des fontaines. En été, l'eau de source étant plus froide que celle des mares et la nourriture y étant moins abondante, les Têtards sont longs à se développer et n'atteignent jamais une grande taille : vers la fin d'octobre, nous avons trouvé des Larves de cette espèce dans des fontaines ; ces Têtards, aux troisième et quatrième périodes, étaient beaucoup plus petits que ceux que nous prenions dans les mares en juillet, août et septembre.

Cette Grenouille s'accouple rarement dans les grandes rivières, pourtant nous avons trouvé plusieurs fois sa ponte sur la Creuse, dans les endroits herbus, près des rives.

3. — Grenouille rousse, Rana fusca - Rœsel.

Grenouille rousse, Rana temporaria

Parties supérieures brunes, légèrement verdâtres ou jaunâtres sur les flancs et les côtés des membres postérieurs, maculées de noirâtre principalement sur les membres où ces taches forment des rayures transversales ; une grande tache d'un brun noirâtre sur les côtés de la tête, en arrière de l'œil ; parties inférieures d'un blanc jaunâtre souvent tacheté de roussâtre. Iris brun doré, pupille horizontale. Tête et corps : 0 m. 056 à 0 m. 070 ; membre postérieur : 0 m. 100 à 0 m. 103. En plaçant un des membres postérieurs le long du corps, le talon ne dépasse pas le museau.

Cette espèce habite le nord et le centre du département, mais n'existe pas dans le sud ; nous ne l'avons jamais rencontrée dans la vallée de la Creuse. Notre collègue et ami René Parâtre l'a capturée aux environs d'Issoudun, de Châteauroux, de Buzançais, de Palluau, de Sainte-Gemme ; la lisière nord de la forêt de Châteauroux paraît être sa limite méridionale.

La Grenouille rousse s'accouple de bonne heure, en février et mars. M. Parâtre a trouvé des couples dès le 2 février, aux fontaines du Montet, près Déols.

D'après M. Héron-Royer, l'accouplement peut durer très longtemps, jusqu'à ce que la femelle soit disposée à pondre. La ponte forme une pelote glaireuse assez considérable et n'est pas fixée aux plantes ; elle flotte souvent sur l'eau. Puis les couples se désunissent et vont se cacher sous terre pour y prendre un peu de repos ; ils reprennent bientôt leur activité et se dispersent dans les champs, les bois, et y poursuivent les Insectes ; aux premiers froids de l'automne, ils s'enfouissent dans leurs retraites souterraines. Nous avons eu plusieurs fois en captivité des sujets capturés près de Châteauroux et d'Issoudun et qui nous avaient été donnés par M. Parâtre. Souvent, en février et mars, nous avons entendu chanter les mâles dans nos cages ; leur cri, très faible, peut s'exprimer ainsi : Brouou, Grouou.

Métamorphoses. — En février 1893, plusieurs couples de Rousses furent pris aux fontaines du Montet, par M. Parâtre, et placés dans un aquarium. Le 26 février, pendant la nuit, un de ces couples déposa un gros paquet d'œufs dont notre ami nous fit don quelques jours après. La ponte de R. fusca est entourée d'une masse glaireuse très consistante, mais moins considérable que celle de R. agilis ; le vitellus est brun noirâtre en dessus et blanchâtre en dessous. Ayant placé les œufs dans un de nos bassins, les premiers Têtards noirs, dont on voit déjà les branchies externes lorsqu'ils sont encore dans l'œuf, sortent de la glaire le 14 mars. Les 15 et 16, beaucoup de sujets sont hors de l'œuf, s'étendent, se contractent et sortent peu à peu de la masse albumineuse ; après de nombreux efforts, ils sont enfin libres et nagent avec rapidité, puis se reposent au fond ou sur les bords du bassin. Les derniers Têtards sortent de la glaire le 17 mars ; ils sont noirs ; leurs branchies externes sont longues, leur queue est allongée. La première période, pendant laquelle les yeux, la bouche, les viscères, l'anus se forment, en même temps que les branchies externes allongent, diminuent et deviennent internes, dure neuf ou dix jours ; le spiraculum a son ouverture sur le côté gauche du corps. Si on fait commencer la troisième période dès l'apparition des bourgeons qui doivent former les membres postérieurs, il n'y a pas de deuxième période chez cette espèce, car, le deuxième jour, on voit déjà au microscope les bourgeons en question. Le Têtard broute les plantes, et, sa nageoire caudale étant bien développée, il se déplace souvent et avec aisance. Le 3 avril, les plus grands Têtards ont 21 millimètres de longueur ; leur coloration est moins noire ; les bourgeons des membres postérieurs ont un peu grossi. Le 15 avril, ces Têtards ont 35 millimètres ; ils sont d'un brun légèrement olivâtre en dessus et incolores en dessous, car on voit très bien les viscères ; leurs flancs ont une teinte légèrement cuivrée ; leur queue est allongée et leur nageoire est marquée de points noirâtres ; les membres postérieurs se forment et on voit les bourgeons qui formeront les orteils. Le 30 avril, les Larves ont beaucoup grossi et leur queue est maculée de quelques taches noirâtres ; chez les plus fortes, qui ont 40 millimètres, les membres postérieurs sont presque entièrement formés. Le 10 mai, les Larves à la troisième période ont 45 millimètres ; elles sont d'un brun foncé en dessus ; en dessous, elles ont une teinte cuivrée, métallique, surtout vers le bas des flancs ; leur gorge est moins violacée que chez l'Agile ; leur nageoire caudale est pointillée de noirâtre et porte des taches de même couleur dispersées çà et là ; leurs membres postérieurs sont bien développés. À cette période, les Larves d'Agile et de Rousse se ressemblent beaucoup ; aussi conseillons-nous, pour éviter toute erreur, d'examiner au microscope le bec corné des Têtards douteux ; la partie supérieure du bec corné de l'Agile porte une sorte de verrue cornée ; cette excroissance n'existe pas chez la Rousse. La bande brune et blanchâtre du haut de chaque flanc commence à se montrer chez les Larves qui sont à la fin de la troisième période ; les membres postérieurs ont des rayures transversales brunes ; la teinte métallique des parties inférieures disparaît et devient blanchâtre. Beaucoup de sujets sont à la quatrième période ou à son début et nous avons remarqué que chez cette espèce, qui a pourtant l'ouverture du spiraculum située sur le flanc gauche, le membre antérieur droit sortait souvent le premier alors que le membre gauche apparaissait seulement par l'ouverture du spiraculum et ne devenait libre qu'un peu plus tard ; c'est ordinairement le contraire qui a lieu chez les Larves à spiraculum situé à gauche.

Pendant cette période, les raies des flancs deviennent plus apparentes ; la teinte des parties supérieures s'éclaircit, alors que par endroits se montrent des taches d'un brun sombre ; les parties inférieures deviennent de plus en plus blanches. Plusieurs individus sont à la fin de la quatrième période et leur queue est presque résorbée. Nous les plaçons dans un aquarium ; ils sortent de l'eau le 12 mai, porteurs d'un petit bout de queue, et sont entièrement transformés le 14. À son arrivée à l'état parfait, la jeune Rousse a 15 millimètres du bout du museau à 1'anus. Elle est brune en dessus, avec de petites proéminences plus foncées ; les lignes du haut des flancs sont bien visibles ; la tache post-oculaire est d'un brun peu foncé ; les membres postérieurs sont rayés de brun ; elle est blanchâtre en dessous. Chez quelques sujets on remarque la tache en forme de V renversé qu'on voit vers la base de la tête de l'Agile ; mais on reconnaîtra toujours la jeune Rousse aux minuscules mamelons d'un brun foncé qui ornent les parties supérieures de son corps. Du 14 au 22 mai, les transformations sont très nombreuses, et le 22 mai au soir il ne reste plus dans l'eau qu'une seule Larve sur le point de passer à la quatrième période. Cette Larve dégage son membre antérieur droit dans la matinée du 23 ; dans la soirée du même jour, son membre antérieur gauche sort par l'ouverture du spiraculum ; le 26, elle est hors de l'eau, mais elle a encore un bout de queue qui disparaît le 30.

Un de nos sujets à la troisième période eut un de ses membres postérieurs amputé ; ce membre ne se reforma pas. Chez les larves d'Urodèles, il n'en est pas ainsi ; bien souvent nos jeunes Salamandres à l'état larvaire s'arrachaient les pattes, et les membres mutilés ne tardaient pas à se reformer.

4. — Grenouille agile, Rana agilis - Thomas.

Grenouille agile, Rana dalmatina

Parties supérieures brunes ou variant du brun cendré au brun roussâtre, avec une large tache triangulaire noirâtre en arrière de l'œil et des marques de même couleur formant des rayures transversales sur les membres postérieurs ; quelques petites taches sont encore disséminées sur les membres antérieurs et quelquefois sur le dos, où elles forment, à la base de la tête, une sorte de V renversé ; une grande tache se montre sur le haut de l'avant-bras. Parties inférieures blanches, d'un blanc légèrement jaunâtre ou rose par endroits. Iris brun doré, pupille horizontale. Les mâles ont ordinairement un costume plus sombre que les femelles. Tête et corps : 0 m. 050 à 0 m. 065 ; membre postérieur : 0 m. 105 à 0 m. 125. En plaçant un des membres postérieurs le long du corps, le talon dépasse le museau.

Cette Grenouille est commune. Elle paraît dès le mois de février, lorsque la température n'est pas trop froide, et s'accouple immédiatement, puisque nous avons trouvé sa ponte le 18 de ce mois. Mais c'est principalement en mars qu'a lieu l'accouplement et qu'on entend le chant des mâles : co-co-co-co, co-co-co-co-co, co-co-co. Une femelle se présente à la mare et est bientôt accouplée ; alors les amoureux choisissent un endroit herbu et la femelle évacue ses œufs que le mâle féconde. La glaire gonfle et la ponte forme une grosse boule qui se trouve presque toujours fixée à une ou plusieurs tiges ; l'œuf est brun foncé en dessus et blanchâtre en dessous. Il arrive souvent que les plantes ne sont pas assez solides pour maintenir la ponte lorsqu'elle est vieille de quelques jours ; elle monte alors à la surface et s'étale plus ou moins. S'il gèle fort à ce moment, les embryons de la partie supérieure seront perdus. Mais il faut que la température baisse beaucoup, car la ponte est toujours plus chaude que l'eau qui l'environne ; on peut facilement s'en rendre compte en plongeant la main dans la mare et ensuite dans la masse glaireuse.

Nous avons trouvé des pontes en février, mars et avril, dans les fossés et les mares. Nous avons remarqué que dans un chemin dont les fossés contenaient l'un de l'eau courante et l'autre de l'eau dormante, les Agiles choisissaient l'eau dormante pour y pondre ; il est vrai que le fossé contenant cette eau était le mieux exposé au soleil, et c'est peut-être pour cela que de nombreux paquets d'œufs y étaient déposés. Pourtant les fossés contenant de l'eau dormante tarissent souvent et les Larves périssent alors par milliers.

Les œufs de cette espèce sont détruits en grande quantité par les Tritons palmés : le 9 mars 1892, nous trouvons une ponte fraîche dans une petite mare très fréquentée par ces Tritons ; trois ou quatre Palmés étaient déjà en train de dévorer les œufs et faisaient de grands efforts pour s'introduire dans la masse albumineuse ; le 25 mars, la ponte était presque entièrement mangée et quelques jours après il ne restait plus que cinq ou six embryons sur le point d'éclore.

Les Agiles restent peu de temps accouplées et se séparent après la ponte, bien que les mâles demeurent à l'eau pendant quelques jours encore. Puis elles se répandent dans la campagne, fréquentant les bois humides et les prairies, s'égarant même sur les coteaux secs et ensoleillés ; elles font des bonds énormes et lancent souvent un jet d'urine lorsqu'on cherche à les prendre.

Au moment du rut, faute de femelles, les mâles sauteront sur l'échine du premier Batracien venu : nous avons trouvé des Agiles sur des Crapauds mâles qui, eux aussi, sont à l'eau en mars ; les malheureux Crapauds faisaient en vain des efforts inouïs pour se débarrasser de leur fardeau.

Cet Anoure se nourrit d'Insectes, de petits Mollusques et de Vers. Aux premiers froids, il se cache sous terre, dans les trous, sous les racines et les tas de détritus.

Métamorphoses. — Le 7 mars 1892, nous prenons une ponte fraîche dans un fossé, près d'Argenton, et nous la plaçons dans un de nos bassins. Les premiers Têtards bruns sortent de la masse glaireuse le 26 mars, les derniers le 3 avril ; ils s'agitent, circulent vivement, puis se reposent au fond du bassin, couchés sur le flanc. La température étant favorable, la première période dure peu, et, en six jours, les yeux, la bouche, les viscères, l'anus se forment ; les branchies externes, moins allongées que chez l'espèce précédente, deviennent internes ; le spiraculum s'ouvre sur le côté gauche du corps ; le Têtard, qui commence à brouter les plantes, passe à la deuxième période. Le 12 avril, les bourgeons qui doivent former les membres postérieurs se montrent et la troisième période commence ; le 12 mai, les Larves ont beaucoup grossi et les bourgeons ont un peu allongé. Le 21 mai, les plus fortes Larves ont 39 millimètres de longueur ; elles sont d'un brun légèrement olivâtre sur les parties supérieures, leur longue queue est tachetée de noir et les côtés de leur corps sont maculés de très petites lignes noirâtres sinueuses, enchevêtrées et à peine visibles ; l'abdomen est blanc argenté, cuivré sur les côtés et a une teinte métallique ; le raphé médian est peu apparent ; la gorge a une teinte violacée ; les bourgeons allongent et on commence à apercevoir les orteils. De même que nos autres Larves d'Anoures, elles mangent les Escargots écrasés que nous leur donnons. Le 31 mai, les plus grands Têtards ont 45 millimètres ; la queue, très longue, leur donne une forme élancée ; les membres postérieurs se développent sur la plupart des sujets et sont même presque formés chez quelques individus. Le 15 juin, la plus grande Larve à la troisième période a 45 millimètres ; elle est sur le point de passer à la quatrième période et ses membres postérieurs sont formés. À ce moment la coloration change et devient plus claire ; une bande brune se montre sur le haut de chaque flanc et une marque de même couleur, en forme de V renversé, apparaît sur le haut du dos ; le corps perd ses formes arrondies et on voit la forme des membres antérieurs encore cachés sous la peau. Deux Larves sont au début de la quatrième période et ont dégagé un de leurs membres antérieurs ; deux autres sont à la quatrième période et ont leurs quatre membres ; chez ces dernières, le bec corné et les lames pectinées de la petite bouche tombent et la grande bouche de l'état parfait va se former.

Une Larve est à la fin de la quatrième période ; sa queue se résorbe et sa bouche est presque formée ; les poumons remplacent les branchies et le Têtard vient souvent à la surface pour prendre de l'air ; la raie brune du haut de chaque flanc se borde de blanchâtre en dessus. De nombreuses Larves sont toujours à la troisième période et ont leurs membres postérieurs peu développés. Le 18 juin, la Larve qui était à la fin de la quatrième période le 15 juin, mise en cage, a entièrement résorbé sa queue et est à l'état parfait. Le 25 juin, de nombreux sujets sont sortis de l'eau, ayant encore un bout de queue, et achèvent de se transformer au dehors ; beaucoup d'individus sont à la quatrième période et quelques souffreteux sont encore à la troisième. Ce même jour, 25 juin, nous mettons dans le bassin d'une cage deux Larves au début de la quatrième période et huit Larves à la quatrième période : le 28 juin, elles sont presque toutes hors de l'eau, mais ont encore une très petite queue ; le 30 juin, huit sont à l'état parfait et deux seulement ont encore trois ou quatre millimètres de queue. Les transformations sont nombreuses dans le grand bassin où la ponte a été déposée ; le 5 juillet, tous les jeunes Batraciens sont arrivés à l'état parfait et ont quitté l'eau. Ils prennent de plus en plus le costume de leurs parents, se répandent dans tout le jardin et chassent les Pucerons et les très petits Insectes. Au moment de sa transformation, la jeune Grenouille agile a 15 millimètres du museau à l'anus.

 


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