BATRACIENS
ANOURES
Famille des Bufonidés
GENRE CRAPAUD, Bufo - Laurenti.
Museau très court ; pas de dents ; des denticules osseux à l'os palatin ; en arrière des yeux, des parotides allongées formées d'un amas de glandes ; peau tuberculeuse en dessus, granuleuse en dessous ; quatre doigts non palmés aux membres antérieurs ; membres postérieurs peu allongés et portant cinq orteils palmés. Les mâles sont plus petits que les femelles, surtout chez B. vulgaris ; leurs membres antérieurs sont plus gros que ceux des femelles ; ils portent, au moment du rut, des brosses copulatrices aux doigts internes. Le Crapaud calamite mâle a un sac vocal interne, le Crapaud commun n'en a pas.
5. — Crapaud commun, Bufo vulgaris - Duméril et Bibron.
Crapaud commun, Bufo bufo
Parties supérieures brunes, plus ou moins roussâtres ou verdâtres, souvent maculées, chez les vieilles femelles, de taches grisâtres ou blanchâtres ; parties inférieures d'un blanc jaunâtre sale, marquées parfois de taches noirâtres très peu foncées et à peine visibles. Iris rouge, pupille horizontale. Tête et corps : 0 m. 09 à 0 m. 11 ; membre postérieur : 0 m. 095 à 0 m. 135. Dans l'Indre, la femelle du Crapaud commun est le Batracien qui atteint la plus forte taille.
Dès les premiers jours de mars, cette espèce sort du trou de terre qui lui a servi d'abri pendant la mauvaise saison, et d'un pas lourd et chancelant se rend à la rivière, à la mare, à l'étang ou au fossé voisin. Les mâles arrivent les premiers et font entendre leur chant : couâ, ouah ; les femelles viennent ensuite et sont bientôt accouplées ; vers le 20 mars, si le temps est beau, les couples sont nombreux à la surface des mares.
Lorsque la femelle est disposée à pondre, les amoureux choisissent un endroit herbu, et, la nuit ou le matin, la ponte commence. Ils fixent aux plantes l'extrémité des chapelets d'œufs et se promènent ensuite çà et là, pendant plusieurs heures, sur un petit espace ; la femelle évacue ses œufs pendant que le mâle les féconde au passage ; quelques heures après la ponte, le couple se désunit.
Les tubes glaireux reposent sur les brins d'herbes ou sur les joncs, à quelques centimètres de profondeur ; ils gonflent bientôt et leur diamètre est de 10 ou 12 millimètres environ. Pendant ce temps, les œufs, dont le vitellus est noirâtre dessus et brunâtre dessous, qui étaient un peu aplatis à leurs bouts, s'arrondissent et se rangent par quatre dans le cordon.
Nous avons remarqué, en différents endroits, que cette espèce, tout en s'accouplant un peu partout, même dans les rivières, semble avoir des lieux de prédilection pour se reproduire. Ainsi, par exemple, dans une mare située sur la route d'Argenton à Vaux, les couples sont nombreux en mars, alors qu'ils sont assez rares dans les mares qui se trouvent à peu de distance de celle indiquée plus haut et qui, autant qu'elle, contiennent des plantes aquatiques.
À défaut de femelle, le Crapaud commun saute sur les mâles de son espèce ou se hisse sans façon sur le dos d'une femelle de Grenouille verte qui fait alors des efforts inouïs pour s'en débarrasser. Il n'est pas facile à désarçonner, car il se cramponne tant qu'il peut sur sa glissante monture, et rien n'est comique comme de voir ce couple grotesque plonger, se débattre et cabrioler en tous sens ; enfin la Grenouille épuisée devient plus calme et se résigne à porter son fardeau. Cet accouplement est improductif et il n'en résulte aucun hybride ; la Grenouille verte, du reste, ne pond qu'en mai et juin. Tenace et patient, le Crapaud attend quand même une émission d'œufs qui ne doit pas se produire ; de longs jours passent, et la Grenouille, les aisselles ulcérées et à moitié étouffée par les poings de son amoureux, s'affaiblit de plus en plus et finit souvent par mourir.
La saison des amours dure peu de temps chez le Crapaud commun, et, lorsque l'accouplement bat son plein vers le 20 mars, dès le 31 du même mois il ne reste plus à l'eau que quelques mâles qui n'ont pas eu la chance de trouver une femelle et qui, de temps en temps, jettent leur cri monotone ; bientôt eux aussi quittent l'eau et se répandent dans la campagne.
L'appétit ouvert, le ventre vide, le Crapaud s'en va à la recherche d'une nourriture qui doit réparer ses forces épuisées par le long jeûne d'hiver et par l'accouplement. Il retourne dans sa contrée tout en chassant les Insectes, les Mollusques, les Lombrics, et s'établit dans les tas de pierres, sous les fumiers, dans les galeries abandonnées par les petits Rongeurs, où il habite de compagnie, car nous avons trouvé cinq ou six Crapauds dans le même terrier ; il se creuse parfois un trou peu profond lorsque le terrain n'est pas trop dur ; il s'égare jusque dans les caves et les jardins des villes, passant sous les portes ou par les fissures des vieux murs. On 1e rencontre partout, dans les bois, les champs, les villages. Il sort quelquefois le jour, par les temps humides, mais le plus souvent il se met en chasse à la nuit tombante, marchant ou sautillant lourdement, jusqu'à ce qu'une proie attire son attention ; il s'arrête alors, s'embusque, et lorsque l'animal convoité passe près de lui, il projette brusquement sa langue gluante et la victime est avalée prestement. Il semble avoir une préférence marquée pour le Carabe doré et bien des fois nous avons trouvé ce beau Coléoptère dans son tube digestif. Il est vrai que le Carabe, chasseur infatigable, est plus exposé que tout autre Insecte à faire avec le Crapaud de dangereuses rencontres.
Nous avons dit que l'accouplement avait lieu vers le 20 mars : mais, lorsque les froids persistent, cette espèce se reproduit fin mars ou au commencement d'avril. Quelques femelles qui n'ont pu se rendre à l'eau en mars y arrivent en avril ou même beaucoup plus tard : le 18 juin 1891, nous avons pris, dans une mare, une énorme femelle portant un mâle sur son dos ; dans le corps de cette femelle, nous avons trouvé une grande quantité d'œufs sur le point d'être pondus. Nous pensons que cette bête avait dû être retenue prisonnière dans sa retraite d'hiver, par suite de matériaux déposés sur sa demeure, et que, une fois libre, elle s'était rendue à la mare, accompagnée d'un mâle qu'elle avait trouvé en route.
En automne, plus le temps se refroidit, moins le Crapaud circule, et il finit par rester dans son trou pour y passer la saison des frimas ; c'est principalement sous les tas de fumier qu'il aime à creuser son domicile hivernal.
Métamorphoses. — Le 21 mars 1892, nous prenons deux Crapauds accouplés et nous les plaçons dans notre jardin. Ces bêtes, apportées de Vaux à Argenton, ne se désunirent pas pendant le trajet, quoiqu'elles aient été assez fortement secouées par le trot d'un Cheval ; il est vrai que la mousse placée dans le sac où elles étaient renfermées amortit considérablement les chocs. Pendant la nuit suivante et la matinée du 22, le couple dépose ses cordons d'œufs dans un de nos bassins. Les premiers Têtards sortent des cordons le 2 avril, les derniers le 6. Au moment de sa naissance, le petit Têtard noir est dans un état rudimentaire, mais en une semaine la bouche, les yeux, les viscères, l'anus sont formés ; les branchies externes paraissent, puis disparaissent, deviennent internes, et le spiraculum s'ouvre sur le côté gauche du corps ; la queue s'allonge et la nageoire caudale se développe. La petite Larve quitte le cordon albumineux sur lequel elle est restée pendant quelques jours, elle circule dans le liquide et commence à brouter les plantes aquatiques. Le 11 avril, presque tous les Têtards sont passés de la première à la deuxième période et chez quelques-uns des plus forts sujets on commence à apercevoir au microscope les bourgeons qui formeront les membres postérieurs. On voit, par cette dernière observation, que la deuxième période ne dure pas longtemps chez cette espèce. Le 11 mai, les Larves ont beaucoup grandi, mais les bourgeons ont à peine grossi ; le 16 du même mois, les bourgeons ont un peu allongé. Le 21 mai, les Larves ont 25 millimètres de longueur ; elles sont noires ; l'abdomen est un peu moins foncé ; les membres postérieurs commencent à se former et on voit les bourgeons qui formeront les orteils. Le 31 mai, les Larves à la troisième période ont 30 millimètres ; elles sont noires en dessus ; le dessous du corps est un peu moins sombre et a une coloration légèrement métallique ; chez quelques-unes, les membres postérieurs sont très développés ; elles mangent avec avidité les Escargots écrasés que nous leur donnons. Des sujets précoces sont à la quatrième période. Le 5 juin, beaucoup de Têtards sont au début de la quatrième période et ont sorti de leur peau un des membres antérieurs ; bientôt l'autre membre est délivré et ils sont à la quatrième période. De noirs qu'ils étaient, ils deviennent brunâtres en dessus avec des marbrures plus foncées sur les membres, et en dessous ils sont d'un blanc sale. Les lames pectinées et le bec corné de leur petite bouche de Têtard tombent et la grande bouche de l'état parfait se forme ; pendant ce temps, ils ne prennent presque plus de nourriture et vivent aux dépens de leur queue qui, en huit jours, se résorbe de plus en plus ; c'est la fin de la quatrième période. Les poumons remplacent les branchies, le spiraculum disparaît, et les jeunes Crapauds, ayant besoin d'air, vivent sur les plantes à la surface de l'eau. Encore porteurs d'un petit bout de queue, ils quittent le bassin et vont se cacher sous les herbes, les pierres, les mottes de terre et dans les moindres trous ; ce qui reste de leur queue se résorbe rapidement et les jeunes Batraciens, arrivés à l'état parfait, ont 12 millimètres de longueur du bout du museau à l'anus. Ils ouvrent souvent la bouche pour la dilater et vivent de Pucerons et d'animaux minuscules ; leurs parotides sont d'un beau roux clair ; ils prennent de plus en plus le costume de leurs parents. Le 13 juin, beaucoup de sujets sont hors du bassin ; il ne reste à l'eau que des individus à la quatrième période et quelques souffreteux encore à la troisième période. Le 30 juin, il n'y a plus dans le bassin que quatre Larves maladives qui se transforment lentement et qui quittent l'eau le 10 juillet. Lorsqu'il arrive à l'état parfait, le petit Crapaud a l'iris noirâtre et marqué de nombreux points dorés ; six semaines après, les points métalliques couvrent une grande partie de l'iris et sont devenus de la couleur du cuivre rouge ; plus tard cette teinte perd sa coloration métallique et devient rouge.
En juin, on trouve des quantités de jeunes Crapauds autour des étangs et des mares, et même, en quelques endroits, sur les berges de nos rivières. Encore peu verruqueux, ils sont la proie d'une foule d'animaux.
À l'état adulte, ce Batracien, protégé par le venin que sécrètent les glandes de sa peau, n'a guère pour ennemi que le Tropidonote à collier, qui peut l'avaler impunément ; maintes fois nous avons trouvé dans l'intérieur de ce Serpent les corps plus ou moins digérés d'un ou deux Crapauds.
6. — Crapaud calamite, Bufo calamita - Daudin.
Crapaud calamite, Epidalea calamita
Parties supérieures d'un brun cendré avec de larges et très nombreuses marbrures verdâtres ou d'un brun verdâtre ; pustules d'un brun rougeâtre ; une raie d'un jaune clair part du museau ou du milieu de la tête et se prolonge jusqu'à l'anus. Parties inférieures blanches, avec de nombreuses petites taches noires. Iris vert doré, marbré de noir ; pupille horizontale. Tête et corps : 0 m. 067 ; membre postérieur : 0 m. 080. Forme plus svelte que chez le Crapaud commun.
Dans notre département, cette espèce est presque aussi commune que la précédente.
Le Calamite paraît vers la fin de mars et s'accouple en avril, mai et juin, parfois même jusqu'en septembre. Il se reproduit dans les fossés peu profonds contenant de l'eau courante. Souvent aussi on trouve sa ponte dans les ornières des chemins, après une forte pluie ; si la sécheresse survient, l'eau disparaît et les Têtards sont perdus.
C'est le plus criard de nos Batraciens, qui comptent pourtant dans leurs rangs de si bruyants virtuoses, et les raoa, craoa, crraoa, crrraoa, raoa… de son chant d'amour sont assourdissants. Dès qu'un mâle se fait entendre, ses camarades ne tardent pas à l'imiter et bientôt, au crépuscule, le vacarme est complet et dure une partie de la nuit. Trottinant comme un Campagnol, la mine éveillée, charmant dans son beau costume, il se faufile entre les herbes, cherche noise à un voisin, lui saute sur le dos, s'y maintient quelques instants, fait des cabrioles gracieuses dans la bousculade qui suit, car il a l'échine souple, et, la querelle terminée, recommence sa musique. Les femelles se rendent à l'appel des mâles et les couples ne tardent pas à se former ; en avril, mai et juin, en suivant les fossés d'eau courante, bien souvent à peu de distance des fontaines, il n'est pas rare de trouver ces jolies bêtes accouplées. La femelle tend ses cordons d'œufs sur le sable, de préférence dans les endroits où il y a à peine quelques centimètres d'eau, et forme de nombreux lacets. Les œufs, fécondés par le mâle au moment de leur sortie, se rangent par deux dans le cordon, puis, lorsque l'embryon se forme, se mettent en une seule file ; quand le petit Têtard devient libre, le cordon albumineux disparaît presque entièrement. Les œufs sont noirs, avec une teinte blanchâtre en dessous ; ils sont moins gros que ceux du Crapaud commun. Le très petit Têtard noir de cette espèce est extrêmement abondant dans les fossés au printemps et au commencement de l'été.
Pendant le jour, sauf par les temps humides, le Calamite reste sous terre, à une faible profondeur, dans le petit trou qu'il s'est creusé, et en sort le soir pour se mettre en chasse dans les fossés desséchés, dans les prairies, les jardins, le long des bois et des haies, cherchant les Coléoptères, les Crustacés, les Mollusques et les Vers qui sont sa nourriture habituelle. Il disparaît aux premiers froids d'automne, s'enfouit dans un endroit bien abrité, sous les fumiers, les amas de détritus, et y passe la mauvaise saison en compagnie de quelques sujets de son espèce.
Métamorphoses. — Deux des Calamites qui vivent en liberté dans notre jardin s'accouplent le 21 avril 1892 et le lendemain matin nous trouvons leurs cordons d'œufs dans un de nos bassins. Les premiers Têtards naissent le 27 avril, les derniers le 28. Au début de son existence, la Larve de ce Crapaud est presque informe ; mais en quatorze jours les yeux, la bouche, les viscères, l'anus, la queue et la nageoire caudale se forment, les branchies externes paraissent, puis disparaissent et deviennent internes ; le spiraculum a son ouverture sur le côté gauche du corps. La jeune Larve commence à brouter les plantes aquatiques et passe à la deuxième période, qui dure peu ; car, dès le 16 mai, on voit, au microscope, les bourgeons qui doivent former les membres postérieurs. Le 21 mai, les plus fortes Larves ont 12 millimètres de longueur ; elles sont noires. Le 31 mai, elles ont 14 millimètres ; les bourgeons ont un peu allongé. Le 10 juin, elles ont 19 millimètres ; les membres postérieurs se forment ; elles ont la gorge un peu blanchâtre ; leur nageoire est moins noire que chez l'espèce précédente ; elles mangent les Escargots écrasés que nous plaçons dans leur bassin. Le 20 juin, les Larves à la troisième période ont 23 millimètres ; leurs membres postérieurs sont presque entièrement formés ; elles sont noires dessus, un peu moins sombres dessous. Quelques Têtards sont à la fin de la troisième période, leurs membres postérieurs sont formés et on commence à apercevoir la raie jaune du milieu du dos. D'autres Larves sont au début de la quatrième période et ont sorti un de leurs membres antérieurs ; d'autres sont à la quatrième période et ont leurs quatre membres, leur coloration est moins sombre et leur raie jaune s'accentue. Le 30 juin, beaucoup de Têtards sont encore à la troisième période ; d'autres sont à la quatrième et deviennent blanchâtres en dessous ; quelques-uns sont à la fin de la quatrième période, leur coloration se rapproche de plus en plus de celle de l'adulte, ils vivent sur les plantes de leur bassin et plusieurs sujets ont déjà quitté l'eau. Le 6 juillet, de nombreux individus sortent du bassin, porteurs d'un petit bout de queue qui se résorbe rapidement. Jusqu'à la fin de ce mois les transformations sont nombreuses, et, le 31, il ne reste plus à l'eau que quelques Larves maladives qui quittent le bassin vers le 17 août.
L'année précédente, nos Calamites se sont développés plus rapidement, parce qu'ils étaient moins nombreux dans leur bassin.
Chez une ponte observée dans un ruisseau peu profond contenant de l'eau de fontaine, situé près d'Argenton, nous avons constaté que les Têtards sortis des œufs les 17 et 18 avril 1892 étaient presque tous transformés vers le milieu de juillet.
Lorsqu'il arrive à l'état parfait, le Calamite est le plus petit de tous nos Batraciens ; il a de 8 à 10 millimètres du museau à l'anus. À un an, il a de 30 à 33 millimètres et quelques taches noires se montrent sur l'abdomen.
Le venin sécrété par la peau du Calamite adulte, inoculé ou ingurgité, est aussi dangereux que celui de l'espèce précédente ; mais, de même que tous nos Anoures et Urodèles, ce Crapaud peut être manié sans le moindre danger.